Un manchot dans ce monde de bêtes à poil blanc, un selle sur le dos. Je l’avais vu venir de loin, mais impossible de l’éviter. Il est là.
« Marre des trous dans ce sol plat ? Marre des remords de la gratuité sans passe ? Essaie moi, je suis super, enfin, c’est ce que tout le monde dit.
- Tout le monde ?
- Oui, enfin tu sais, tous les barbus. Ils sont super. Alors, tu grimpes ?
- On se dit tu ? Ben c’est gentil, mais ça me semble un peu haut, tu sais, et puis marcher, je fais ça depuis tout petit, alors pourquoi changer ?
- Oui je comprends…moi aussi je marche, enfin, des fois. Mais de là haut tu verras autre chose, tu ne seras plus esclave de ce sol. Allez, hop, je te fais la courte échelle. Bonjour.
- Ah oui, bonjour. »
Pas si courte que ça, l’échelle. Je tombe, une fois, puis une autre. Ca glisse.
« Ca glisse !
- Tu as des chaussures trop neuves.
- Merci, je les ai faites moi-même.
- Tu vas devoir faire un effort, on n’a rien sans rien. J’ai lu ça dans une papillote, un soir.
- La sagesse est pour toi bien plus qu’une dent, à ce que je vois. Mais je ne veux rien, alors pourquoi me fatiguer ?
- Pour le sport, pardi. C’est fatiguant, le sport. Et en plus, je n’ai pas de dents, c’est dire !
- Va pour le sport ! Et puis, j’ai du temps à perdre. C’est parti ! »
Quelques tentatives plus tard, je suis en selle, fatigué, mais heureux. Pour l’instant.
« Tu avais raison, la vue est vraiment différente, ici. Le même sol, les mêmes ornières, mais une autre perspective. L’horizon paraît si petit vu d’ici !
- Haha, ils disent tous ça. Tu allais quelque part ?
- Oui, au sud.
- Super, c’est à deux pas d’ici. Zou ! »
L’animal glisse sans heurts sur le sol cabossé, son ventre mou absorbant les irrégularités du chemin. Tellement mieux que la marche. Mais j’étais sur le point d’oublier…
« Ah attends, j’ai oublié la toile.
- La toile ? Je ne l’ai pas vue.
- Ah oui ? Je sais où elle est en tout cas. Je l’ai laissée sur mon bœuf.
- Ton bœuf ?
- Tu sais bien, le bœuf à coté duquel je marchais, il n’y a pas cinq minutes.
- Mais tu n’as pas écrit qu’il y avait un bœuf.
- C’est vrai, mais ça n’aurait pas dû t’empêcher de le voir !
- Attends, je vais essayer de percevoir sa présence. Mmmmmmmmmmmh ! Ah bien oui, tu as raison, il y a un bœuf.
- C’est sûr, oui. Tu vois la toile, donc ?
- Comment pourrais-je faire ça ?
- Je ne sais pas, comment peux-tu percevoir le bœuf ?
- Comment décrire une couleur à un aveugle ? Je le sens, c’est tout.
- Peu importe, on va chercher la toile. Tu es partant ?
- Toujours ! C’est parti ! Tu aimes mon chapeau rouge ? »
Question rhétorique, aurait dit un outratlantiquien, je ne réponds pas. Mais quelque chose cloche. Le précipice se rapproche à grandes reptations.
« Qu’est-ce que tu fais ?
- J’ai toujours voulu savoir si je savais voler, avec ces moignons, et toi ?
- Non !
- Oui ? Super ! On y va !
- Mais tu es dingue ou quoi ? Les manchots ne volent pas, c’est bien connu, encore moins les manchots géants. Et puis la nature a horreur du vide, écoute ton instinct ! Tu vas abîmer mes baskets.
- La nature ? Tu n’y es pas, mon cher. Je suis 100% artificiel ! Dans l’abîme, les baskets ! »
Il est trop tard, mon destin est scellé. Tandis que nous plongeons dans le précipice, ma vie défile, texte blanc sur puis sans fond noir.
Bip.
Me revoilà sur le sol.
Je choisis le bœuf, cette fois. Au moins, je sais comment le manœuvrer.
17 mai 2006
Tripping
Publié par
Chris
à
21:17
8 commentaires:
T'as désinstallé Linux ? Il a tué ton PC ?
Mais qui es-tu, ô toi génie modeste qui a presque compris la teneur de mon billet ?
Allégoriquement votre.
Moi qui pensais mettre linux dès mes vacances... je vais peut etre me renseigner avant
je dois avouer que j'avais pas tiqué avant le red hat.
Non mais t'inquiète Max, linux n'a pas tué mon pc, j'ai dit PRESQUE compris.
J'espère bien qu'il ne l'a pas tué.
Mais avec un billet aussi torturé, on imagine que linux ça doit être bien chiant à installer.
c'était moi l'utilisateur anonyme.
classiquement l'interface a fait de la merde
Tiens, maintenant, je comprends.
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