Le mec se retourne avant que je ne le dépasse. Il marche lentement, style racaille. Ma taille environ, mais plus massif. Passant à coté de lui, je vois qu’il me dévisage. Je lui rends son regard, méfiant. Un fou ? Un mec louche ? Bof, je suis parano. Nos regards se sont croisés, rien de plus. La résidence est là, à 50m. Un groupe marche, dans l’autre sens. Je pourrais leur demander de l’aide, au cas où. De l’aide ? Contre quoi ? Un mec qui marche ? Coup d’œil furtif à l’arrière : l’écart est stable. Stable ? Je marchais trois fois plus vite que lui, tout à l’heure. Effet d’optique, imagination débridée. Mes sacs de courses surchargés me ralentissent. La porte est là, j’entre rapidement. Allez, passe ton chemin, connard. Il entre. Maudites portes, trop lourdes pour se refermer rapidement. Un résident, rien de plus. J’ouvre la deuxième porte du sas, il me talonne. Bifurcation soudaine à la boîte aux lettres, il continue direction l’ascenseur. Bien. Rien dans la boîte, je repars. Escaliers, donc. Adieu machin.
« Euh, excuse moi, t’aurais pas un truc pour passer un coup de fil mec ? »
Aïe, ça se précise. J’ai mon portable sur moi, bien sûr. Mon baladeur mp3, aussi. Ma carte bleue, du liquide, des papiers, ma vie…
« Ah non, j’ai pas de portable, désolé. A plus…
- Euh, c’est quoi que t’écoutes ? »
Les écouteurs sur les oreilles…impossible de cacher ça. Et merde.
« Euh là c’est du Renaud, tu sais, c’est pas l’homme qui prend la mer… »
Evidemment, il ne sait pas. Quelque chose me dit que le mec n’est pas très chanson française. Il se rapproche, le con.
« Je peux écouter ? »
J’ai envie de lui hurler d’aller chier. Mais bon, si ça peut me débarrasser du type… et puis mes écouteurs sont pourris. Nous nous faisons face, lui avec mes écouteurs sur la tête. Le baladeur n’a pas bougé de ma poche.
« Vas-y, zappe s’il te plaît. »
Vas chier, s’il te plaît ? Bof, je ne pense pas qu’il puisse aimer quoi que ce soit de ma playlist en fait. Avec un peu de chance, je le ferai fuir sans me battre. La vie des pingouins, remix sans paroles. Génial.
« Fais voir c’est quoi ton baladeur.
- Non. Tu sais, c’est un vieux truc, je l’ai acheté y’a 3 ans. »
Il insiste. Après réflexion l’aspect massif et antique de mon vieil archos le rebutera peut-être. Je lui montre rapidement.
« Refais voir, s’il te plaît »
Echec. La solution du ‘gros débile à la recherche d’amis’ est désormais définitivement écartée. Le type en veut à mon baladeur, et deux solutions se posent maintenant à moi. Céder à ses demandes une à une en espérant le faire dégager jusqu’à me faire avoir, ou accepter le conflit. Nos visages à 20 cm l’un de l’autre, il ne me fait pas vraiment peur en fait. Va pour le conflit.
« Non, pas question. Bon, rends moi ça, je me casse.»
J’essaie de lui enlever les écouteurs, il résiste. Difficile de me rappeler précisément l’enchaînement d’action qui s’ensuit, mais, une chose est sûre, je me retrouve bientôt avec le bras passé autour de son cou tandis qui s’agrippe aux écouteurs. Impossible de tirer dessus, ils sont bien trop fragiles.
Je suis tout de même allé un peu loin, je ne veux pas me battre tant qu’il peut y avoir une autre issue, lui non plus apparemment. Je le relâche.
« Rends moi ça.
- C’est bon, qu’est-ce que tu me fais, là. Fais moi juste voir ton baladeur. »
Ai-je vraiment l’air aussi con ?
Personne dans les couloirs évidemment. Murphy dans toute sa splendeur. Dans ce duel, j’ai tout à perdre et rien à gagner. Comment m’en sortir sans douleur ? Chargeons le module de ‘parler racaille’.
« C’est bon, là, je t’ai dit non. Pourquoi tu cherches le problème ? On est là, tranquille, et toi tu viens et tu cherches le problème ? Vas-y, calme toi, rends moi ça et on sera tranquille.
- Fais voir ton baladeur. »
Echec, même dans son langage, je parle à un mur. Tentative de prise des écouteurs par surprise, nouvel échec. Il tire sur le fil dans l’espoir de faire venir le baladeur sans doute, mais celui-ci est du genre lourd. Il a maintenant les écouteurs dans les mains. Que faire ? S’en tirer avec des écouteurs volés ? Vu la qualité de ces derniers, la perte pourrait être acceptable, mais je m’y refuse. Il ne sera pas dit que je me sois fait dépouiller sans lutter du moindre centime.
Et là, je fais un truc stupide. Je sors le baladeur de la poche, histoire d’appâter l’animal et de pouvoir lui enlever les écouteurs sans problème. Il tend la main, je lui arrache les écouteurs de la tête. Génial, Christophe. Juste un détail auquel je n’avais pas pensé…J’ai maintenant une main prise par les écouteurs, une autre par le baladeur, et lui deux mains libres. Il me prend le baladeur. Génial, Christophe. Génial. Je me libère une main en glissant les écouteurs dans la poche, et tente de lui reprendre la chose. Impossible, bien sûr, sans s’engager dans quelque chose de plus méchant.
Je m’étais toujours dit que dans ce genre de cas, je n’hésiterai pas à mettre un bon coup de genou dans les valseuses de l’agresseur, et même de le finir un peu au pied si ça ne suffisait pas, mais quand on en vient à devoir le faire vraiment, les certitudes s’écroulent. Même si l’agresseur ne semble pas être un maître du kung-fu, loin de là. Même s’il offre à mon genou une fenêtre de tir énorme, même s’il ne prend même pas la peine de se défendre et même s’il le mérite de plus en plus, suis-je vraiment le genre de type qui blesse des gens consciemment ? Apparemment, non. Il faudra qu’il donne le premier coup.
Aussitôt l’objet de sa convoitise saisi, l’insecte se met ostensiblement en devoir de quitter la résidence, luttant toujours pour conserver mon baladeur dans la main. Gagne petit, le minable. Il arrive à la première porte. Il pousse, rien. Evidemment, il faut appuyer sur un interrupteur pour ouvrir le sas. Et évidemment, je me suis placé entre l’objet en question et le voleur. Il commence à vouloir m’impressionner.
« Putain mais tu m’as arraché la boucle d’oreille en m’agrippant, je vais te faire ta fête. Franchement, laisse moi sortir, je veux juste aller dehors, lâche moi ou je te démonte. »
Il aboie, mais ne mord pas. Je ne suis pas sûr qu’il se sot battu une seule fois de sa vie. Réalisant qu’il ne sortirait pas sans lutte acharnée, mon adversaire change de stratégie. Direction les escaliers. Dans quel but ? Mystère. Il n’y a pas d’autre sortie. Mais qu’importe, je ne le laisserai pas disparaître de ma vue avec mon baladeur, et je ne peux pas abandonner mes sacs de course posés dans l’entrée. Opération immobilisation, donc. Alors que nous luttons en bas de la cage d’escaliers, nous pouvons entendre des pas en approche. Je bloque la sortie, il est pris au piège. Je prie pour que l’individu mystère soit du genre costaud.
La fille qui descendait ses poubelles a dû être un peu surprise, en voyant ce qui l’attendait en bas de l’escalier. Une fille de l’école, je la connais de vue. C'est toujours ça.
« Salut. Ce mec essaie de me voler mon baladeur, tu peux appeler un peu d’aide s’il te plaît ?
- Hein ? »
Et là, le plus drôle.
« Mais non, j’essaie pas de le voler. Regarde, ce mec a cassé mes écouteurs, alors je lui prends son baladeur, c’est tout. »
Et là, l’ennemi sort de sa poche un lecteur mp3, puis un deuxième, et enfin des écouteurs avec un fil arraché. Bonjour, je suis crédible.
La fille ne sait pas trop quoi faire, je ne peux pas trop lui en vouloir, même si bien sûr elle sait qui ment. Tandis qu’il plaide sa cause perdue, je profite d’un instant d’inattention pour lui arracher mon bien des mains. Il n’a plus rien à moi, tout va bien. Un mec plutôt massif passe à ce moment là dans le hall. Jésus, Allah, Bouddha je vous aime tous !
« Salut, tu peux m’aider s’il te plaît ? Ce mec essaie de me voler. »
Le type hésite, il doit de demander si c’est une blague. Mais peu importe, commençant à se sentir en grosse minorité, l’ersatz de pâle copie de racaille à la petite semaine commence à opérer une prudente retraite vers la porte. Il me lâche quand même un « la prochaine fois je vais pas te louper » avant de prendre ses jambes à son cou, et tout est bien qui finit bien.
J’en suis finalement quitte pour un petit coup de stress, mais cette petite aventure m’aura tout de même appris plusieurs choses.
Tout d’abord, qu’il faut envoyer balader sans hésitation les mecs louches.
Ca paraît évident bien sûr, mais autant y être préparé, car dans le feu de l’action, on n’a pas beaucoup de temps pour penser. Ne pas présenter la moindre faille. Si le mec comprend qu’il devra se battre rien que pouvoir toucher vos écouteurs, il y réfléchira peut-être à deux fois, alors que si vous jouez le type sympa, vous prendrez des risques inutiles. J’ai vraiment été débile sur le coup.
Appris qu’il faut lutter, ensuite. Le mec n’était clairement pas enclin à se battre pour ‘gagner’ sa croûte, alors pas question de lui rendre la vie facile, pas question de jouer le faible. Idéalement, il aurait fallu lui faire comprendre dès le début que le prix à payer était trop élevé pour lui, même pour de simples écouteurs. Quand ce fait est devenu clair à ses yeux, il était déjà allé trop loin, seconde erreur de ma part.
Et enfin, j’ai appris que frapper quelqu’un, aussi facile que ce fût techniquement, est très loin d’être anodin. Même au mec qui essaie de vous voler ce baladeur à 300€ payé de votre poche, le casse-noisette paraît trop violent pour être acceptable. Et, au final, j’ai bien fait. Je n’ai eu besoin d’envoyer personne à l’hôpital pour m’en sortir sans dommages, sans rien d’autre qu’une petite lutte somme toute gentillette. J’ai fait le bon choix.
Mais un bon point sur trois, c’est faible, et j’ai eu beaucoup de chance que mon agresseur ait été aussi débutant que moi ou presque dans le domaine.
En espérant faire mieux la prochaine fois…
29 avril 2006
Le choc des titans
Publié par
Chris
à
22:47
5 commentaires:
C'est ça de vivre à la ville...
règle n°1 : ne pas afficher de signes de richesses ostentatoires
règle n°2 : ne pas être sympathique, ne pas adresser la parole ni un regard à ces gens qui nous veulent que du mal ; faire la gueule d'un mec blasé qui veut tout faire sauf coopérer facilement
règle n°3 : avoir l'air sûr de soi (enfin, plus que l'adversaire)
La théorie c'est facile... je n'ai jamais été confronté à ce genre de problèmes. Quelques provoc tout au plus, qui n'ont pas eu de suite.
ahalàlà
Ivry, Evry, même combat
Suite aux émeutes et à la politique d'en ce moment, il fallait s'y attendre.
Quand même c'est ouf que le gars soit venu à l'intérieur de la résidence pour te voler, en général j'aurais plutôt pensé qu'il te bloque dans un coin. Objectivement là il avait quand même de grandes chances de se retrouver à 1 contre 2.
Tu as pas trop mal géré quand même, de lui arracher le balladeur des mains...
Il avait genre 13 ans le gars ou cb ?
Et sinon, tu fais pas les courses avec Romain ? Tu aurais été avec une masse !
Euh non il avait pas 13 ans, il devait avoir mon âge.
Et non, je n'étais pas avec Romain.
Hier j'ai pensé à ton aventure.
Je ridais dans un champ, celui-ci était occupé par des gitans bourrés qui jouaient de la guitare électrique à 130dB, une huitaine de chiens se sont approchés... j'ai rapidement passé mon chemin.
Quel gentleman ce Christophe.
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