28 février 2008

Rencontre

Non, vous n'êtes pas dans le plus beau de vos rêves. Pincez-vous, j'ai bloggé.
Et pas qu'un peu, ça non, fini les billets de tarlouze d'une misérable page word ou moins, ce billet est pour les hommes, les vrais, avec de vrais morceaux de mots que vous ne connaissez pas dedans et tout.
A la base, c'est un texte que j'ai écrit pour un jeu-concours que je ne citerai pas pour éviter le plagiat (à la clé, tenez-vous bien : un dictionnaire). Un thème : la rencontre. Une contrainte : placer dix mots que je vous propose de deviner. Bon, disons, essayez d'en trouver deux. Il y en a un que j'ai honteusement parachuté et qui devrait sauter aux yeux.
Je n'ai pas encore envoyé le bouzin, si vous voyez des fautes, ou des trucs qui vous choquent dites le moi.
Enfin, si vous avez des remarques comme quoi c'est trop long j'ai pas lu kikoolol, je n'ai qu'une chose à répondre : kizoooooooooux lolol hihihi lolilol kikoooo ?







Le brave petit poney rose.

Une histoire de courage, et de poneys.

Je ne savais plus quand ça avait commencé. Le voile. Un grand voile noir, qui m’était tombé dessus comme un moellon sur le teckel de mémé. Puis le blanc. Le grand désert blanc.
Cela faisait un certain temps déjà que je rampais, dans cette pâleur laiteuse qui n’en finissait pas, et je commençais sérieusement à me poser des questions.
Où suis-je ?
Oui, pas mal.
Qu’est-ce que j’ai fait de mes bras ?
Faudra que je me penche sur la question.
Et qui c’est, ce morveux ?
« Bonjour.
- Hein ?
- Vous rampez ?
- Non non, je gambade comme un cabri. Tu viens d’où, gamin ?
- De pas loin. C’est quoi un cabri ?
- Une sorte de vache. »
Le gamin ouvrit la bouche, hésita, puis la referma en une moue pensive avec un petit plop mouillé.
Je plissais les yeux pour l’observer.
Le qualifier de dégingandé aurait été du même effet que qualifier le soleil de ‘vaguement tiède’. Le gamin n’était que coudes, genoux et angles en tous genres, il avait passé le stade du désarticulé sans même le voir pour rejoindre celui du sur-articulé à fond de train, et le simple fait qu’il tienne debout relevait du miracle majeur, de celui qui vous fait sortir de terre églises, hôtels, boutiques de souvenirs et pèlerins paralytiques en moins de deux pater.
Un visage fripon surmontait l’anarchie osseuse susmentionnée, et quelques vêtements dépareillés tentaient tant bien que mal de jeter un voile de pudeur, sinon de bon goût, sur le tout.
« T’es qui, toi ?
- Je suis bien content de te voir. Ca fait longtemps que j’avais vu personne dans le coin.
- Le coin ? C’est quoi ce coin ? »
Le gamin haussa un sourcil de perplexité. Et de friponnerie, aussi, car ça oui pas de doute, son visage était fripon.
« Ben, le désert voyons. Tu t’es perdu, toi aussi ?
- Je…non, enfin, je sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’un instant, je n’étais pas là, et l’instant suivant, j’étais là. Et personne pour s’excuser pour le dérangement, rien. »
Le morveux s’accroupit devant moi et l’image d’un tas de petit bois qu’on lâche au sol me traversa l’esprit, s’arrêta faire le plein puis repartit en oubliant sa petite monnaie. Le petit me dévisageait, et je pus détailler son visage où les tâches de rousseur le disputaient à la friponnerie sous des mèches blondes qui n’avaient sans doute jamais même vaguement entendu parler du concept de ‘peigne’.
« On t’a jamais appris qu’il ne faut pas dévisager les grandes personnes, petit ?
- Non, pourquoi ça ?
- C’est pas poli, ça se fait pas. »
L’enfant fixait à présent mon front d’un air perplexe.
« Pourquoi tu es vieux ? » demanda-t-il avec le tact d’un diplodocus affligé d’une mauvaise rage de dents.
« Vieux ? Je suis un grand c’est tout, j’ai encore le temps d’être vieux.
- Pourquoi on doit pas dévisager les gens ?
- C’est comme ça et puis c’est tout. »
La réponse eut l’air de faire mouche. Le petit marqua une pause, et prit l’air absorbé de celui-qui-comprend-et-prend-un-air-absorbé-pour-le-montrer-au-lecteur. Il ouvrit la bouche. Il referma la bouche. Il avait l’air d’essayer de se rappeler de quelque chose.
« Je vais… » commença-t-il.
Son front se plissait sous l’effort.
« Je vais t’a-ppri-voi-ser ».
Son sourire de lait se fondit dans la blancheur du décor, ou plutôt, de l’absence de décor.
« Tu vas quoi ?
- T’apprivoiser.
- Ah. Et c’est bien ?
- C’est vachement chouette. Ca veut dire que je dois apprendre à te connaître en fermant les yeux.
- Voyez-vous ça ?
- Et ouais. Même que c’est une espèce de chien qui me l’a appris l’autre jour.
- Mais évidemment, voyons, que suis-je bête, ça tombe sous le sens. Bon, trêve de palabres, je ne suis pas intéressé par ton abri-machin. Va plutôt chercher tes parents, rase-mottes, et dis leur qu’il y a un gentil monsieur qui rampe dans le désert. »
C’est qu’il ne me connaissait pas, le sale gamin. « M’ abrivaser », et puis quoi encore ? J’étais pas un bon gros nounours en chocolat et guimauve, moi, sous mon extérieur bourru ne se cachait qu’un intérieur encore plus bourru, dans lequel misanthropie et aigreur aimaient à s’attabler autour d’une bonne soupe aux oignons et à la grimace en parlant du bon vieux temps et du fait que tout foutait le camp ma bonne dame, et les jeunes d’aujourd’hui, plus de respect pour rien, ça je vous dis à mon époque on savait se tenir et regardez-moi ces tenues et ils appellent ça de la musique non mais vraiment où allait le monde.
« T’es encore là toi ? Allez zou ! Ouste ! Du vent !
- Ce que… je sais pas où aller monsieur. »
La demi-portion avait composé sa plus belle expression regard-de-cocker-battu, mais on ne me la faisait pas, à moi. La preuve, ma voix n’était même pas noyée dans les sanglots quand je repris la parole. Elle avait encore largement pied.
« Ils sont où tes parents ?
- Je ne sais pas. Loin, je crois. »
Le cocker s’attrista un peu plus, et il s’en fallut de peu qu’il ne batte le record mondial de regard triste (toujours détenu à l’heure actuelle par un cocker battu qui de plus avait ce jour-là regardé Titanic et appris l’espérance de vie d’un cocker).
« Onon est où là ?
- Ca va pas ?
- Non, ça va, ça va, j’ai une poussière dans l’œil. T’occupe.
- On est dans le désert, je te l’ai déjà dit.
- Mais encore ? Y’a une ville dans le coin ?
- …
- Des gens ?
- J’en vois pas.
- Une station de métro ? » enchaînais-je sans espoir.
« - Deu-mai-tro ?
- Laisse tomber. T’aurais pas une boussole sur toi par hasard ? Un GPS ? Un arbre avec de la mousse d’un côté ? »
La frimousse du gamin se teinta d’une expression d’incompréhension mâtinée de profonde inutilité comme seule savent en arborer les enfants perplexes et les guichetiers à cinq minutes de la pause.
« Bon oublie ça. Je vais ramper un peu au hasard si ça te dérange pas. »
A bien y repenser, ce désert avait quelque chose d’inhabituel. Le sol, par exemple. Tout désert qui se respecte mettait normalement un point d’honneur à ce que son sol soit aussi désagréable que possible. Alors bien sûr il y avait plusieurs écoles, le clan des sablonneux, celui des rocailleux, celui des plutôt-sablonneux-mais-un-peu-rocailleux-quand-même-on-sait-jamais-ça-peut-servir, mais sur le principe du désagréable, le consensus était établi. Or ce désert-là était parfaitement plat, et lisse. La reptation y devenait un plaisir quasi-jubilatoire pour quiconque aimait ramper et quasi-jubiler.
Quelque chose clochait.
« Bah, peu importe », pensais-je. « Inutile de m’arrêter encore, j’ai déjà perdu assez de temps avec le gamin. »
Et je rampais de plus belle, tandis que le paysage défilait autour de moi à la vitesse d’une limace boiteuse sous tranquillisants. Non pas, notez, qu’il y ait eu grand-chose à faire défiler. Le sol dur et plat sous mon corps, la blancheur limbique partout, et…que voyais-je donc poindre à l’horizon ? Ce n’était encore qu’une particule accrochée à l’horizon, comme une passerelle métallique qui aurait brillé au loin, mais chût, ne brisons pas le suspense, que pouvait donc bien être cette chose mystérieuse qui m’attirait comme un combat d’éléphants sous amphétamines dans un magasin de porcelaine attire les ennuis ?
« Dis-donc monsieur, tu la vois poindre au loin, cette passmmf »
La fin de la phrase du gamin fût quelque peu contrariée par le pied que je venais de lui plaquer sur la bouche au prix d’indescriptibles contorsions, faute de mains disponibles en nombre suffisant.
« Cette chose mystérieuse qui brille au loin de reflets sibyllins et envoûtants, tu dis ? Un peu, que je la vois. D’ailleurs, j’y vais de ce… euh... rampement.
- Ah oui euh… l’étrange et énigmatique euh…objet de matériau indéterminé, là-bas. Il me donne un mauvais pressentiment. N’y va pas. »
Le gamin avait plissé les yeux et pris un air aussi ténébreux que possible en disant cela. Il comprenait vite, le petit. Il me rappelait moi en moins vieux.
« Ne fais donc pas l’enfant. Il ne se passera rien. C’est promis.» le rassurais-je.
« Bon, si tu le dis…on est bientôt arrivé ?
- Pas encore.
- C’est encore loin ?
- Oui.
- On arrive quand ?
- Je sais pas.
- Et maintenant ?
- Toujours pas.
- Tu sauras quand ?
- Quand on sera arrivé.
- C’est dans longtemps ?
- Oui et maintenant LA FERME ! »
La suite du chemin se fit dans un silence boudeur ou soulagé, c’est selon.
J’avais en tout cas visé juste, car le trajet prit exactement longtemps.

« Ben voilà.
- Voilà quoi ?
- Nous y sommes, la destination énigmatique est atteinte.
- La passerelle métallique ?
- Oui, bon, la passerelle métallique. »
C’était une passerelle métallique, ma foi, de bonne facture. Non pas que je m’y connaisse en passerelles métalliques, mais celle-ci respirait la passerelle honnête forgée par des mains irréprochables rattachées selon le mode opératoire habituel à une face qui irradiait certainement la franchise à cent pas.
Une arche en forme de crâne souriant semblait hurler aux visiteurs « BIENVENUE » tandis que les gargouilles ornant les bords ajoutaient un je-ne-sais-quoi de charme subtil à la construction. Un joyeux lac de lave glougloutait gaillardement quelques centaines de mètres plus bas et lançait des reflets rougeoyants sur le métal poli qui ajoutaient au pittoresque de l’endroit. L’aimable passerelle reposait à quelques mètres de l’à-pic et s’élevait dans une brume opaque d’un avenant marron à l’aplomb de l’étendue bouillonnante.
« Ma-gni-fique ! », lançais-je.
« Hein ?
- Quoi ?
- Mais c’est horrible comme endroit !
- Bof, les enfants, qu’est-ce que ça y connaît ?
- Tu ne comptes pas monter là-dessus quand même ?
- Ben je vais me gêner tiens. C’est pour ça que je suis venu, non ?
- Mais…
- Y’a pas de mais. Je te force pas à venir, hein. Tu comprendras quand tu seras grand. »
Il n’y avait rien à répondre à ça. Jamais.
« Bon, bah au revoir, alors. » lançais-je d’un ton qui se voulait triste sans trop y croire.
« Tu te souviendras de moi ?
- Mais oui, voyons. Quand je verrai un champ de maïs ondoyant joyeusement…euh…je veux dire, un carré de betteraves au loin…attends…choux de Bruxelles ? Rah je sais plus, coupez !
- Blé au soleil » me souffla le gamin d’un air de reproche.
- Ah oui, c’est ça ! Bon on reprend. Attends je prends mon air dramatique. Voyons, choses tristes, choses tristes. Un poney rose mort…un poney rose battu, qui meurt en prenant une balle à la place de son amour inavoué de toujours et a tout juste le temps de lui glisser qu’il l’aimait dans son dernier souffle. Ouhlàlà c’est triste, bouhouhou. Allez c’est bon on tourne !»
« Mais oui, voyons, mon enfant. » murmurais-je d’une voix qui croulait sous sa charge dramatique.
« En ce moment où l’astre roi caresse d’un dernier rayon l’or du champ de blé mur, le temps se retient pour prolonger l’instant et la beauté faite reine exulte. En ce moment, mon enfant, tu seras avec moi.
- Ok, merci alors.
- C’est normal. Et n’oublie pas…
- Oui ?
- Euh…non, je sais plus.
- Euh…non, je sais plus. » répéta le mioche afin de se souvenir.
Il s’éloignait déjà dans la pâleur du lointain quand je commençais à gravir la pente douce de la guillerette passerelle.
Après un terrible pugilat dans mon esprit durant lequel bien des meubles furent réduits en miette, la sensibilité mal placée finit par arracher au machisme primaire son accord du bout des lèvres pour le versement d’une larme symbolique. Ils se serrèrent la main et repartirent bon amis, jusqu’à la prochaine fois.

L’ascension de la passerelle fut aussi longue que passionnante, vous auriez adoré en lire le récit et en seriez ressorti avec une vision neuve du monde et de l’importance des choses, vous auriez sans doute découvert peu après le but de la vie et la voie de la sagesse. Il s’en fallut de peu, croyez-moi, de très, très peu.
Mais parlons plutôt de la passerelle. Non pas que celle-ci ait beaucoup changé, depuis le début, au contraire même. Plus le temps passait, et plus elle me semblait pareil qu’avant. Elle s’élevait toujours, lentement, mais sûrement. Et moi avec.
Chaque reptation m’éloignait du sol plat des débuts, et de…il y avait eu un gamin, non ? Bof, ça n’avait plus d’importance. Car soudain, le bord était là. La passerelle, rétrospectivement peut-être pas si rieuse, se terminait abruptement. Une passerelle vers plus rien. Je penchai la tête par-dessus le bord, mais la brume opaque, encore et toujours me bouchait la vue. Plonger ? Mais c’était du suicide ! J’avais encore tellement de choses à faire ! Apprendre à jouer de l’harmonica, danser des claquettes, caresser le rhizome d’un baobab potager, composer un opéra sur le thème de Star Wars. Je n’allais pas tout laisser tomber, et moi avec, quand même ?
J’imaginais le lac de lave, toujours présent, quelques kilomètres en contrebas, au-delà des brumes du temps. Ou alors avait-il été remplacé par autre chose ? Par rien ? Il n’y avait pas mille façons de savoir.
Oui, c’était stupide. Non, aucun être sain d’esprit n’aurait plongé pour savoir.
Une dernière inspiration, et je nous laissais basculer, ma camisole de force et moi.
Qui vivrait verrait.