13 août 2009

Maniaco-dépression

Il est des soirs où l'inspiration vient facilement, où les mots et les idées semblent se déverser et se tisser d'eux-mêmes et sans effort. Ce soir est l'un de ces soirs.

Je laisse mes mains courir sur le clavier, en profitant d'une de ces trop rares expériences pour produire ce billet, d'un jet, d'un trait et sans préméditation. Tous les soirs, pourtant, je ressens une capacité accrue à créer, à exprimer ce que je pense et ce que je ressens, mais rares sont les soirs où cette envie est suffisamment forte et dirigée pour me pousser à prendre la plume et concrétiser ce besoin plutôt que de l'étouffer, le remplacer par une activité de réception passive plus aisée mais moins gratifiante. Mais la création ne se limite pas à l'activité sociale, visible et palpable par autrui. Tous les soirs, mon esprit crée, invente, trouve de nouvelles idées et élabore des stratégies qui jamais, le matin, ne m'auraient effleuré l'esprit. Tous les soirs je suis un mister Hyde hyperactif à mon échelle, et tous les matins je me retransforme en un raisonnable et réservé docteur Jekyll, réévaluant les idées de la veille et les jetant pour la plupart aux oubliettes.

Mais ce changement de personnalité, instantané en apparence pour l'œil de la conscience, se reproduit à l'inverse et de façon lente et graduelle au fil de la journée. Je suis en continuelle et lente métamorphose psychique. Le soir est une période d'exubérance créatrice, de désinhibition, de facilité d'écriture et d'ouverture. A celle-ci s'oppose la phase matinale où les critiques mentales sont en plein éveil et inhibent le processus 'aventureux' de mon esprit. Les phases 'maniaques' et 'dépressives' s'alternent.

Mais ne t'inquiète pas pour moi, cher lecteur, je vais bien, du moins, tout aussi bien que toi. Car nous sommes tous, finalement, des maniaco-dépressifs en miniature. Dans le mens sana comme dans les autres se succèdent des phases créatrices, génératrices d'hypothèses, et des phases de critique qui viennent réduire le champ des hypothèses envisagées. Ces hypothèses peuvent concerner l'attitude à suivre envers votre voisin trop bruyant comme la façon de saisir un objet placé à proximité d'une main, et, si quelques unes de ces phases sont lentes et accessibles à la conscience, la plupart se déroulent sans même que l'on s'en rende compte. Comme un motif fractal répété de la plus petite décision possible jusqu'aux réflexions à tiroir sur le sens de la vie, ces cycles d'élargissement, puis de réduction du champ des possibles rythment le fonctionnement de l'esprit humain. La plupart de ces cycles sont invisibles à la conscience, qui ne s'embarrasse pas de tels détails, et seuls les cycles de plus haut niveau nous sont perceptibles.

La maniaco-dépression, selon cette théorie, ne serait pas une maladie résultant de l'apparition de 'mouvements d'esprit' contraires, mais plutôt de l'exacerbation de mécanismes existants et normalement utiles à l'esprit humain. Chez le maniaco-dépressif, la phase critique est exacerbée au point de ne voir de bon en aucune chose, quand la phase créatrice ne trouve, elle, au contraire, aucune limite. C'est en ce sens que j'ose, très chère lectrice ou très cher lecteur, te qualifier de "maniaco-dépressif en miniature", c'est-à-dire, finalement, d'esprit sain. J'espère que tu ne m'en voudras pas.

Quant à moi, je m'en vais maintenant retourner à mes pénates, et attendre un sommeil qui n'arrivera qu'après une longue effusion de pensées non dirigées, tout comme ce billet.

Bonne nuit.