30 septembre 2008

La crise


Elle s’inscrit en fil rouge depuis aussi loin que je puisse m’en souvenir, dans les informations et les conversations. Petit, je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire. Tout le monde parlait de la crise, et vivait sa vie sans problèmes apparents. La conjoncture était mauvaise, mais tout allait bien. J’étais perplexe.
Un jour pendant le repas de midi, je demandais à mes parents la signification de ce mot, conjoncture, attrapé au vol parmi les informations que crachait la vieille radio de ma mère. La réponse me satisfît, mais ne m’avança pas vraiment. Où se cachait donc la crise ?
Il fallait bien que les choses aillent mal quelque part. Que des gens aient faim, qu’ils dorment dans la rue. Oh évidemment il y avait le clochard salué tous les dimanches sur le parvis de l’église, et il y avait les petits enfants en Afrique. Il y avait des gens malheureux, ailleurs, on nous l’avait assez répété. Mais pas assez. Ca ne collait pas.
Bien sûr, je vivais dans une bulle. La bulle de l’enfance, qui isole des soucis matériels. La bulle de ma petite ville résidentielle fleurie et bien famée, dans une des régions les plus aisées d’un des pays parmi les plus riches du monde. Mais tout le monde, dans cette petite ville qui était la mienne comme ailleurs, vivait dans la peur de la crise. A force de répétition, la crise devenait réelle pour tous, lovée dans les cortex comme une évidence indiscutable quoi que dénuée de manifestations palpables. Pour autant que je m’en souvienne, personne n’a jamais remis en question la crise. Il n’a jamais été question de croire en la crise, pas plus qu’il n’est question de croire au facteur. [1] La crise était simplement là, et s’il fallait en parler, c’est pour décider de comment en sortir. Car c’est ce qu’on fait, avec une crise. On en sort.

Avec le recul, j’ai fini par reconstituer une petite partie du puzzle et par faire coller une signification concrète à ce concept de crise. La crise, c’était les chocs pétroliers, la fin des trente glorieuses, la fin du plein emploi. Et tout ce qui en découle, ou pas. Tout ce qui va mal. C’est le chômage longue durée, la compétition durant les études, la compétition à l’embauche, la dette qui gonfle, le trou de la sécu, les impôts qui grimpent, et la bourse qui baisse, parfois.
Et qui baisse beaucoup, depuis quelques temps. Une crise dans la crise ? Ruez-vous sur les conserves, chacun pour soi et que le plus fort gagne, c’est la fin du monde. Mais personne ne veut de fin du monde. Les gouvernements du monde entier renflouent leurs banques à grand renfort d’argent public. Les spéculateurs vendent leurs invendables à Monsieur Tout-le-monde au prix fort et gardent les bénéfices. Les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres. De loin, en bas, il devient difficile de distinguer le monde des affaires de celui de la politique. Les PDG deviennent ministres, les cadeaux s’échangent, les relations se tissent et les campagnes se financent bien. La tendance n’est pas nouvelle, et n’a pas commencé avec Sarkozy, Bush ou Berlusconi. Depuis longtemps les puissants sont riches et les riches sont puissants. Mais la frontière se brouille graduellement, à mesure que s’éloignent des mémoires les principes fondateurs des démocraties capitalistes modernes, remplacés par un cynisme réaliste des adeptes de la realpolitik. Et ils n’ont pas tort.
Les cyniques ont investi depuis longtemps les postes clés du secteur économique, emporté dans sa course en avant infinie au profit d’où qu’il vienne. L’argent avait déjà perdu son odeur avant le début du siècle dernier, avec la bénédiction de la main invisible. Comment luter contre un concurrent prêt à user de tous les moyens en son pouvoir, sans considérations morales ou idéologiques, sinon en faisant de même ? Le cynisme est peut-être un choix au niveau personnel, mais au niveau sociétal, c’est une fatalité. Le cynisme est un comportement viral.
La politique a résisté plus longtemps, et non sans raisons. Dans une démocratie idéale, le leader politique est charismatique. Il est issu de l’élite intellectuelle du pays, et a des idées bien tranchées sur la voie à suivre par son pays. Plus qu’une liste de promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, il a des idéaux, et a conscience de servir le peuple. De tels leaders ont, je crois, dans une certaine mesure, existé, mais ils sont aussi rares aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier. Et la concurrence est nombreuse comme jamais.
Le politique moderne sait paraître, à grand renfort de publicités, de campagnes exorbitantes et de formules choc empruntées. L’idéologie est pour lui un bagage encombrant, quand une veste est si facilement retournée. Le politique moderne est peut-être cynique, mais il sait se faire élire. Le peuple le sait, bien sûr. Les taux de participation baissent. Le vote protestataire monte. Mais le pouvoir des realpoliticiens n’en souffre pas. En politique aussi, le cynisme a gagné, et il ne se voile presque plus.
Ce n’est pas une conséquence conjoncturelle, et ce n’est pas un hasard. C’est la progression logique d’un système dans lequel le cynisme se reproduit mécaniquement et élimine la concurrence. Et il n’y a aucune raison que cela ne continue pas dans ce sens.

La crise ? Mais il n’y a pas eu de crise. Le système a évolué, suivant ses propres règles, et il n’y aura vraisemblablement pas de retour en arrière. Le terme de crise implique l’existence d’une solution, mais il n’y aura pas de solution. Nous sommes sur des rails, et il ne fait pas bon regarder où ils nous mènent.
Derrière les mesurettes anecdotiques propres à chaque gouvernement, la tendance de fond est la même dans les démocraties capitalistes. Dérégulation, privatisation, libéralisation. Et nationalisation des pertes, en ce moment. La machine qui, durant le siècle dernier, marchait si bien, n’a pas changé, mais elle s’est emballée. Elle marche beaucoup trop bien.
Il y a une semaine, le mardi 23 septembre 2008, nous avons célébré le ‘earth overshoot day’. C’est le jour estimé où l’humanité a consommé toutes les ressources produites par la nature dans l’année, après quoi l’humanité pioche dans les réserves. Ne retenez pas la date, ce jour arrivera de plus en plus tôt chaque année.

Et qu’y pouvons-nous, nous, pauvres mortels ? Et bien rien. Le président des USA n’y pourrait rien. Il n’y a pas de moyen de lutter contre un phénomène viral mondial. On peut toujours essayer, pour se donner bonne conscience (ce qui n’est pas un tort, loin de là), ou juste au cas où. Mais c’est perdu d’avance. La population mondiale augmentera jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la nourrir. L’exploitation des ressources naturelles continuera jusqu’à épuisement. Les pauvres toujours plus pauvres protègeront des riches encore plus riches. A moins d’un épisode imprévisible, une révolution, une guerre mondiale, une émeute globale, un soulèvement des machines, je ne vois pas ce qui peut contrer ce scénario. Les oligarchies se déguiseront en démocraties pour paraître légitimes, maintiendront le peuple dans la peur et détourneront sont attention des vrais problèmes. C’est déjà vrai dans une large mesure.

Ne faites pas d’enfants.



C’était le billet déprimant du jour. Etant donné que je n’ai qu’une maîtrise très proche de zéro des sujets abordés vous avez le droit de ne pas me croire, je ne sais pas si je me crois moi-même. Mais au moins, j’ai bloggé.

[1] Petit plagiat de Terry Pratchett, désolé.

23 septembre 2008

Chinoiserie

Voilà l'étiquette d'un mini kit de couture acheté en Chine :
Sympa non ?