22 février 2011

L'asociété de l'esprit

A toi l’étranger.

J’allais te répondre, tu sais. Ma réponse était prête, mesurée, étayée. Elle était médiocre comme l’était ton message, mais comme lui elle aurait probablement été lue et approuvée. La conversation aurait pu se poursuivre, mais la voix a été la plus forte.

Pas cette voix qui chuchote “tue-les, tue-les tous”, non, l’autre, la froide. La voix au goût de vide, celle qui creuse ses mots dans le tissu de la réalité et ne laisse dans leur espace qu’un néant insondable. La voix de l’entropie.

“A quoi bon ?
Pourquoi écris-je ce message ? Que suis-je en train de prouver, et à qui ?
Cette conversation est insignifiante, rien n’en sortira, aucun de nous n’en apprendra rien.
Je le sais.
Et pourtant, je souhaite continuer ? Pourquoi ?
L’espoir ?
Non.

Je suis en train d’affirmer ma place dans l’ordre des choses. Il y a les pour, et il y a les contre, et ceci est ma carte de membre. En te répondant, je rentre dans le club. Rien d’autre n’en sortira.”

Mais je refuse. Il existe un niveau en moi, une couche intellectuelle maladive et mal ajustée, refusant obstinément la nature des choses. Ma nature.
Je suis un être social, et je méprise mes instincts sociaux. Je les rejette et me porte à l’opposé, dans le seul groupe intellectuellement satisfaisant : le groupe des gens qui n’appartiennent à aucun autre groupe. Brassens, à ma rescousse mon vieux moustachu ! “Bande à part, sacrebleu, c’est ma règle et j’y tiens”.

Mais j’en suis loin bien sûr.
Difficile, dans cette courte bafouille, de surmonter les barrières mentales et stylistiques imposées par “je”, ce pronom illusoire et ô combien simplificateur. “Je” suis, comme tout un chacun, multiple et incohérent, et ce “je” rejetant l’instinct grégaire n’est qu’un parmi tant d’autres.

C’est lui, ce “je”, qui regarde avec mépris le reste de la société de mon esprit apprécier une fille parce qu’elle dit du bien de moi, d’une façon si peu subtile pourtant que nulle manipulation maladroite n’aurait été aussi grotesque. C’est lui encore qui regarde cette même société naïve tourner en dérision un collègue dont on m’a dit du mal. J’observe en spectateur désabusé et impuissant le fonctionnement simpliste de mon esprit.

Alors, à quoi bon te répondre ?
A quoi bon prendre position ?
Plus je vieillis, et plus mon ignorance et ma stupidité m’apparaissent comme évidentes, et me poussent au silence.
Je me rappelle bien de ma dernière conversation complexe - ou bien était-ce un monologue ? Cette sensation de jeter les mots comme de la poudre au yeux, de faire illusion plus que de progresser. La parole est sociale, j’ai affirmé mon rang. Mon interlocuteur n’a pas vu l’abysse de mon ignorance, la fragilité de mon argument. J’ai marqué des points. C’était il y a plus de six mois.

Seuls les faits sont acceptables, tangibles, vérifiables.
Je corrige les faits, et laisse intact l’édifice branlant d’un argument incohérent et mal précisé. C’est ma petite concession à l’instinct social : j’apporte ma petite pierre, et laisse les autres construire sur le vide.

Ainsi est ce “je” qui n’est qu’un parmi tant.
D’autres pensent autrement.