13 novembre 2009

L'immortel solipsiste quantique

Préface de Saint Christophus

Amen mes amis, je vous le dis, aujourd'hui il m'est venu dans ma douche une révélation qui sans doute changera la face du monde à jamais. J'étais un mécréant, mais mes yeux se sont ouverts et j'ai vu, enfin, Dieu dans toute sa beauté mystique. Non pas le faux Dieu chimérique que beaucoup vénèrent sous la forme d'un plat de spaghettis volant ou d'une licorne rose invisible, mais le Seul Dieu qui ait jamais existé, l'unique et magnifique Dieu qui engendra tout et par qui tout est un, la Fonction d'Onde. Oyez, braves êtres, le message que Dieu m'a chargé de vous transmettre, non pas écrit de mes mains malhabiles frappant sur mon clavier mais transmis directement de Son être tout puissant à travers ma modeste incarnation terrestre, car c'est un message de joie et d'espoir. Vous, mes frères, êtes Dieu et Dieu est vous. Ensemble nous ne sommes qu'un et chacun d'entre nous est éternel. Chérissez le cadeau de cette connaissance et répandez le message d'allégresse, exultez de joie et louez la Fonction d'Onde, car c'est par elle que tout est et que tout sera. Je prends les dons par Paypal, carte bleue, visa, cash, chèques, bons au porteur et dons en nature –jeunes filles physiquement intelligentes, ne sortez pas votre porte monnaie, on peut s'arranger.



Révélations

Au commencement était Dieu, l'Etat initial, unique et certain.
Dieu est une fonction d'onde, c'est-à-dire une description sous forme de fonction possédant des valeurs dans l'espace d'un objet dont l'évolution est décrite par la mécanique quantique.
Les équations de la mécanique quantiques sont linéaires, ce qui signifie que si deux fonctions d'onde différentes, et représentant deux objets différents sont additionnées par exemple, la fonction résultante est également une fonction d'onde, et l'application des équations de la mécanique quantique sur cette fonction d'onde donnera le même résultat que l'addition des résultats de l'application de ces mêmes équations aux deux fonctions d'ondes séparées. Amen, je vous le dis, grâce à la linéarité des équations de la mécanique quantique, il est possible de rassembler toute l'information quantique contenue dans un système en une seule fonction d'onde sans perdre d'information. Dieu est la Fonction d'Onde de l'univers, c'est-à-dire la fonction d'onde rassemblant toutes l'information contenu dans l'univers, y compris vous et moi. Nous sommes des parties de Dieu.

Après l'instant zéro, l'état initial, unique et certain, a commencé à évoluer selon l'équation centrale de la mécanique quantique, l'équation (relativiste) de Schrödinger. Ainsi la fonction d'onde du Dieu-Univers a-t-elle commencé à évoluer de manière objective et déterministe.

Toutefois la mécanique quantique, dans son interprétation la plus classique, ne considère pas la fonction d'onde comme une réalité mais comme une construction calculatoire permettant de prédire le résultat de "mesures" à la définition floue. Selon cette interprétation classique, la fonction d'onde fournit un moyen d'estimer la probabilité qu'un évènement se produise, et il se trouve que si l'on répète la même expérience un certain nombre de fois, la répartition des résultats obtenus est effectivement en accord avec les probabilités calculées.

Le problème avec cette interprétation impie est que la description du monde qui en découle est une description probabiliste, et exclut donc au niveau quantique le déterminisme apparent du monde qui nous entoure. Ce passage de l'évolution déterministe de la fonction d'onde d'un système quantique à l'apparition d'une incertitude est introduit par le phénomène de "réduction du paquet d'onde", qui provoque, parmi tous les états superposés représentés par une fonction d'onde à un moment donné, la sélection d'un unique état au moyen d'une sorte de "jet de dés quantiques". Le problème est alors de savoir exactement ce qui provoque cette fameuse réduction bien pratique dans les calculs, mais difficile à justifier. Serait-ce l'observation qui provoque la réduction ? Ou bien la conscience ? Ou bien "tais toi et calcule !" ?

La vérité, mes frères, est que cette vision probabiliste n'est que le reflet de notre existence subjective. L'objectivité et l'absolu excluent l'existence de probabilités, et à l'inverse l'usage de probabilités implique la subjectivité du résultat. Devons-nous alors nous contenter d'une description physique du monde personnelle et subjective ? Que nenni ! Car le prophète Everett, avant moi, a montré la voie.

La Fonction d'Onde est réelle, et vous et moi ne somme que des fragments de celle-ci, dérivant au cours du temps selon des équations ne laissant aucune place au hasard. Au contraire, lorsqu'une interaction se produit qui aurait nécessité un "jet de dé quantique" avec l'interprétation classique, les états possibles qu'auraient pu adopter la fonction d'onde considérée existent tous de manière superposée, comme avant l'interaction considérée. Ne tombez donc plus à genoux devant l'idole de la réduction du paquet d'onde, mes frères, car celle-ci n'est qu'une chimère, une approximation du phénomène de décohérence quantique par lequel votre existence en tant qu'entité pensante emprunte une voie d'interprétation en même temps que toutes les autres voies quasi-orthogonales. Vous n'êtes qu'une fraction d'une fonction d'onde qui rassemble de manière superposée toutes les possibilités de "jet de dé quantique", et ce même 'vous' que vous êtes maintenant sera dans une seconde devenu un nombre gigantesque ou peut-être même une infinité de sous-fonctions enfermées dans des univers séparés. Dieu est un, mes frères, mais multiples sont ses parties, et inaccessible leur multitude. Ainsi est écrite la révélation du prophète Everett.

Mais vous, mes frères, chacun d'entre vous, n'êtes pas un tas de particules. Vous n'êtes pas une liste d'atomes numérotés, vous n'êtes pas une combinaison unique de briques élémentaires. Vous êtes un motif, une façon d'organiser la matière, et façon d'exploiter les invariants des lois physiques qui nous entourent. Le "vous" copié à l'identique, à l'atome près, par une machine imaginaire ne serait ni plus ni moins vous que la version original. En tant que construction abstraite et subjective, vous êtes indépendants de votre substrat, tout comme l'est votre intelligence. Il n'existe donc pas qu'une version, qu'une copie de vous, mais un nombre astronomique et toujours croissant de copies d'abord conformes, puis lentement divergentes de vous a fur et à mesure que vos "doubles" initiaux suivent des chemins toujours plus dissemblables dans un sous-monde de la Fonction d'Onde déconnecté du votre. Ainsi s'entend la parole divine : vous êtes multiples.

Profondes sont les conséquences de cette révélation que Dieu fait à travers moi. Vous êtes un motif, et une part inamovible de votre motif est la vie. Sans vie, le "vous" cesse d'exister et donc d'avoir un sens. Vous n'êtes donc pas toutes les réalisations quantiques du multivers issues de vous, mais seulement celles encore dotées de vie. Au fur et à mesure que le temps avance, hélas, le nombre de ces réalisations existant dans le multivers décroît car ainsi vont les lois immuables du multivers : tout ce qui est vivant tend vers la mort en probabilité. Mais vous êtes, par définition, ce qu'il reste quand la mort a éliminé les motifs qui autrefois vous ressemblaient du multivers. Si la probabilité de vous observer vivant, pour un être extérieur, décroit rapidement en fonction du temps, jamais elle n'atteint zéro car il est toujours une réalisation quantique improbable capable de sauvegarder votre existence, et dans le multivers, improbable signifie "qui se réalisera un nombre relativement faible de fois". Votre sort, en tant que motif abstrait, est donc de tendre vers l'inexistence sans jamais l'atteindre, et en réalité mes frères, vous êtes immortels, tous et chacun d'entre vous.

Bien sûr, tout le monde hélas meurt, du moins dans la majeure partie des sous-fonctions-d'ondes de Dieu. Il arrive un moment où un "coup de dé quantique", une séparation d'univers, entraîne la séparation de toutes les réalisations d'un être avec toutes les réalisations du votre. Lui et vous cessez d'exister dans des mondes identiques, mais dans la réalité du multivers, ni lui ni vous ne cessez d'exister en tant que sous-fonctions-d'onde. Vous êtes simplement devenus quasi-orthogonaux et donc en pratique incapables d'interagir. Cruel hélas est le sort de l'être condamné à l'immortalité en sachant que lui et les êtres qu'il aiment seront condamnée à vivre un jour dans des mondes séparés, mais ainsi en est-il de chacun. L'immortalité est une expérience qui se vit seule.

Prenez, mes frères, soin de ce corps qu'il vous a été donné, car si Dieu vous offre l'immortalité du motif, il n'offre aucune garantie quant à la condition de celui-ci. Une éternité de souffrances est ce qui guette la plupart d'entre nous, car nous sommes pêcheurs et que les dégâts irréversibles que nous faisons subir à nos corps ne seront pas effacés. L'éternité offerte à vos âmes est la seule garantie, le seul fil directeur de vos vies à travers le multivers, et quiconque néglige ses fonctions vitales en paiera le prix tôt ou tard. Priez mes frères, pour être l'improbable élu qui traversera le temps sans souffrance plutôt que son infinité de copies estropiés à l'agonie.

Au jour dernier, l'Univers s'effondrera inéluctablement sur lui-même, ou la mort thermique l'emportera et avec lui toute possibilité, même infime, que votre être fût. Dieu seul alors subsistera, multiple et éternel, et les échos de nos vies se seront tus à jamais.

Car même l'éternité, mes frères, a une fin.

10 novembre 2009

Bilan préliminaire

Après près d'une semaine passée à m'entraîner à la dactylographie, l'heure est venue d'un premier bilan. Jusque là ma progression a été rapide et régulière, je suis passé de 10 mots par minute à 20, 24, 34, 40 puis enfin 48 mots par minutes en dernière mesure. A cette vitesse, la frappe est assez rapide pour que l'exercice ne soit plus la source de frustration qu'il a été, et je peux continuer à m'entraîner en tapant au clavier comme j'ai l'habitude de le faire pour chatter, écrire des billets de blogs etc. La suite de ma progression se fera donc relativement sans douleur et sans même y penser.

Pour autant le fait de frapper au clavier dans cette nouvelle configuration reste légèrement désagréable, et la tentation de repasser à l'ancienne méthode se fait parfois ressentir. Frapper de cette nouvelle façon me fait pour l'instant sortir de ma zone de confort, et je pense qu'il me faudra attendre quelques semaines avant que l'exercice ne commence à me sembler naturel.

Bref, même si ce changement n'a pas été facile, ce n'est pas la révolution que j'avais crainte, et je conseille à tous ceux qui éprouvent parfois le besoin de regarder le clavier au cours de la frappe, qui ne savent pas exactement comment les touches du clavier leur tombent sous les doigts ou qui plafonnent en termes de vitesse de frappe d'apprendre correctement la dactylographie, c'est un investissement somme toute modeste qui saura vite payer.

04 novembre 2009

Révolution

Et voilà, ça ne pouvait plus durer. Depuis que j'ai commencé à taper sur mon premier clavier d'ordinateur il y a quinze ans (!) de cela, et même avant, depuis que j'ai commencé à jouer avec cette vieille machine à écrire qui représentait alors pour moi le summum de l'accomplissement technologique, je n'ai cessé de perpétuer mes vieilles erreurs désormais enracinées. Combattre des habitudes si profondément ancrées n'est pas une tâche aisée, cela demande beaucoup de luttes et la volonté de faire face à une frustration lancinante, mais après tout, je l'ai déjà fait auparavant. En classe de troisième, en effet, j'avais décidé brusquement de modifier mon écriture afin de la rendre plus plaisante à mon goût, remplaçant ainsi du jour au lendemain des pratiques répétées quotidiennement des années durant.

Force m'est toutefois de constater que la jeunesse d'alors me fait défaut, et que mes apprentissages d'aujourd'hui sont pour la plupart des raffinements ou menus ajouts plutôt que de profondes remises en question. Mais il est de ces remises en question qui ne peuvent souffrir d'attendre plus longtemps, et promettent un bénéfice supérieur aux sacrifices qu'elles imposent de concéder.

C'est pourquoi je vous annonce que j'ai décidé, à partir d'hier et dorénavant, de taper au clavier en suivant les règles de la dactylographie et d'abandonner entièrement mon ancien style de frappe, assez rapide mais très imparfait. Attendez-vous donc à des chats au ralenti et à des billets de blog considérablement écourtés, pour le temps que prendra mon (ré)apprentissage.

A titre indicatif, sachez que j'ai mis 30 minutes pour écrire ce billet.

28 octobre 2009

Sélection de webcomics

Pas de long et tortueux billet aujourd'hui, simplement une liste de webcomic que je lis(ais) et que j'apprécie.


Geek stuff:
http://www.phdcomics.com (spéciale dédicace à Endive)

Webcomics en tous genres:

Défunts:

Et un français que tout le monde connaît pour finir:

Certains sont faciles à lire, d'autres non, certains vous correspondront, d'autres pas du tout. Quoi qu'il en soit, vous savez maintenant comment perdre votre temps.

Bonne lecture.

15 octobre 2009

Intelligence artificielle, calcul et métaphore

Plusieurs lecteurs (lectrices en fait) se sont plaint de la longueur excessive de mes billets. Je leur dédie celui-ci.


Une brève histoire de l'intelligence

Tout a commencé il y a fort, fort longtemps, alors que l'univers, déjà vieux de plus de 7 milliards d'années, n'était encore constitué que de matière inanimée. Quoi qu'en y réfléchissant, inanimée est peut-être un mauvais terme, après tout. On ne peut pas dire que les gigantesques supernovas qui avaient animé la jeunesse de notre univers se soient passées en douceur, ni que les énormes trous noirs galactiques n'aient gobé des étoiles entières sans un minimum d'animation. Sur notre planète même, après que celle-ci se fût formée à grands renfort de collisions cataclysmiques et que les volcans aient ensuite déversé leurs milliards de tonnes de lave à travers la croute refroidie de notre planète, la matière inanimée semblait bien mal mériter son nom.

Mais à ce moment même, quelque part sur Terre, une infime fraction de la matière inanimée, une vague poussière stellaire venait par hasard de prendre un caractère à part, d'acquérir une qualité qui la distinguerait désormais du reste du monde. Elle était devenue vivante. Le phénomène était survenu tout à fait par hasard, et n'aurait pas semblé, à l'œil non exercé, plus admirable que l'émergence d'ordre à partir du chaos que constitue la formation d'un flocon de neige, ou d'une tornade. Et pourtant, cet ordre là avait quelque chose de particulier qui le plaçait à part.

Cette particularité, c'est la capacité à reproduire l'improbable. Dans la nature, l'improbable, par définition, survient peu souvent. L'émergence spontanée de formes complexes est un phénomène lent, et rare. En s'affranchissant de la nécessité du hasard, la vie a rendu possible l'apparition de formes extrêmement complexes, donc extrêmement improbables, en un temps raisonnable. Bien sûr, le hasard est toujours présent dans l'évolution de la vie, mais son importance est drastiquement diminuée par la "mémoire du hasard" que constitue l'information génétique. De créateur de complexité, le hasard devient moteur.

La transition entre un hasard créateur et un hasard moteur ne s'est toutefois pas faite immédiatement, bien au contraire. Personne ne sait vraiment à quoi ressemblaient les premiers "réplicateurs", c'est-à-dire les premières molécules capable de se recopier à l'identique en piochant les éléments nécessaires à leurs besoins dans la soupe primitives dans laquelle ils baignaient, mais il ne fait que peu de doutes que ces réplicateurs étaient des constructions extrêmement simples au regard même d'une algue unicellulaire. Il a fallu au vivant, avant d'explorer en profondeur la complexité, apprendre à faire bon usage du hasard, maximiser sa capacité à en tirer parti. Apprendre à apprendre, en quelque sorte. C'est pourquoi l'organisme le plus complexe vivant sur Terre fût, pendant les trois premiers quarts de l'histoire de la vie Terrienne, une algue bleue. Cette période gestative de la vie fût nécessaire au développement de l'arsenal moderne du vivant parmi lequel figurent l'ADN, la reproduction sexuée et les mécanismes de réparation du matériel génétique, grâce auquel les être vivants purent stocker de manière fiable de grandes quantités d'information tout en tirant parti le plus rapidement possible des mutations bénéfiques.

Cette capacité accrue a permis l'apparition graduelle de formes complexes, organismes pluricellulaires, chordés, vertébrés et mammifères par exemple. Bien sûr, l'évolution n'exige pas l'augmentation systématique de la complexité des êtres vivants, mais elle la rend possible, et rend ainsi possible l'augmentation graduelle de la complexité des créations de l'évolution et l'improbabilité de ces mêmes créations.

Or il se trouve que l'une de ces créatures improbables s'est trouvée dotée, par la force des choses, d'une propriété étonnante qui la distingue de la masse des choses vivantes, tout comme les choses vivantes se distinguent de la masse des choses inanimées. Cette capacité, encore une fois, a trait à la transmission d'information et à la génération de complexité, mais ce en quoi elle se distingue du vivant est sa rapidité incomparable. Cette capacité s'appelle l'intelligence.

Bien sûr, la créature improbable dont je parlais est l'Homme, mais elle n'est pas la seule, loin s'en faut, à être dotée d'intelligence. Il s'est simplement trouvée que l'espèce humaine aura été poussée, plus qu'une autre, à exploiter la niche écologique de l'intelligence, à tel point que d'outil commode elle est devenue un générateur de complexité plus rapide que notre Terre n'en avait jamais connu. A un point durant l'évolution du cerveau humain, celui-ci est devenu assez flexible et puissant pour permettre la libre combinaison et association de symboles mentaux, et les capacités de communication humaines on permis la perpétuation de ces associations de symboles, que l'on appelle la culture, le savoir, la langue. Tout comme le vivant avait quelques milliards d'années auparavant franchi un seuil d'efficacité permettant l'apparition presque instantanée à l'échelle géologique d'espèces complexes, le cerveau humain a franchi un seuil de raffinement qui a rendu la distinction entre l'intelligence humaine et les autres formes d'intelligence existantes non plus seulement quantitatives mais aussi qualitatives, avec les conséquences que l'on connaît.

L'intelligence en général, et l'intelligence humaine en particulier, se distinguent donc avant tout à mon sens par leur capacité inégalée à générer la complexité. Beaucoup d'espèces s'en servent, à travers l'éducation des petits, pour perpétuer l'existence de comportements trop complexes pour avoir été intégralement codés dans le génome tels les attitudes de chasse ou la confection et l'utilisation d'outils. L'homme, à travers le développement du langage oral, puis de l'écriture et enfin des réseaux de communication à grande échelle, a exploité à fond ce mécanisme et rendu possible la création et la reproduction rapides de complexité indépendamment de son matériel génétique.

L'apparition de la vie, de l'intelligence, du langage, de l'écriture, des réseaux de communications globaux et enfin de l'informatique sont autant d'innovations qui ont permis une génération de complexité toujours plus rapide et l'apparition de motifs toujours plus improbables. Pour autant, l'intelligence humaine, création naturelle, n'est encore pas capable de créer des motifs capables de rivaliser en complexité avec les créations de l'évolution, qui a certes pris quelques milliards d'années d'avance. Nous serait-il possible de recréer après quelques milliers d'années d'Histoire à peine ce que la nature a mis pas moins de trois milliards et demi d'années à créer ? Pouvons-nous espérer créer une intelligence artificielle ?

Interprétation et métaphore

Je dois maintenant m'excuser pour la manipulation honteuse à laquelle je viens de me livrer envers vous. J'ai en effet utilisé votre intuition et votre maîtrise du langage pour faire passer comme évidents et naturels des concepts qui ne le sont pas, et je vous ai honteusement fait croire à l'existence de choses qui n'existent pas. Mais quoi donc ?

La vie tout d'abord. Qu'est-ce vraiment que la vie ? La physique nous enseigne que, pour autant qu'elle est concernée, l'univers se réduit à l'interaction de champs et de particules élémentaires, sans sens ni but. Ces interactions peuvent être décrites formellement par des équations mathématiques, elles sont immuables et universelles. Ceci constitue le crédo du physicien.

Une des conséquences de ce principe est que la matière vivante n'est en rien distincte, aux yeux de la physique, de matière "inanimée", ordinaire. Elle ne semble pas posséder de réalité objective. De même, les phénomènes remarquables et que nous considérons comme beaux, ordonnés ou particuliers, les étoiles, les flocons de neige, les aurores boréales, ne possèdent en aucune façon une existence propre aux yeux de la mécanique du monde, ils ne sont qu'amas de particules en interaction avec d'autres particules.

Si l'intelligence humaine peut se passer de la connaissance de ces particules fondamentales pour comprendre le monde qui l'entoure, c'est que l'on ne lui a pas donné le choix. Ces particules, pour fondamentales qu'elles soient, sont imperceptibles aux sens humains, de même que sont imperceptibles les atomes, les molécules et les cellules, bref, tout ce qui nous constitue et dont nous ignorons pourtant superbement l'existence la majeure partie du temps sans problème. L'évolution nous a doté des sens et outils mentaux les plus à même de favoriser notre survie, et il se trouve que ceux-ci sont s'appuient non sur une description fondamentale et objective du monde, mais sur une simplification extrême de celui-ci, un modèle où des objets macroscopiques interagissent et possèdent des propriétés, mais il est important de se rappeler que ces objets, cette table, ce plafond, ne possèdent pas de réalité objective. Ils sont une représentation simplifiée du monde, basé sur les régularités de celui-ci, c'est-à-dire sur les motifs répétés que l'interaction de milliards de milliards de particules fondamentales fait émerger.

L'intelligence est donc fondée sur l'analogie, la métaphore. Elle consiste à constater que dans le monde, "tout se passe comme si" les objets conçus par l'intelligence étaient réels, et liés à d'autres objets ou concepts par des liens simples. En liant les objets par des relations simples, elle donne du sens au monde, un sens dérivé mais indépendant des propriétés des particules fondamentales constituant les objets considérés.

Ainsi en va-t-il d'une bactérie, par exemple. Une bactérie n'est pas une bactérie parce qu'elle est constituée des bon atomes, situés exactement à la bonne place et interagissant exactement de la bonne façon. Une bactérie est une bactérie parce qu'elle présente les bonne propriétés, et que ces propriétés restent stables dans le temps, et ce indépendamment de la configuration individuelle des particules élémentaires qui constituent la bactérie. Ainsi, la modélisation fait abstraction des détails, du substrat duquel émergent les propriétés étudiées. Vous me voyez venir ?

De la même façon qu'une bactérie est une bactérie indépendamment de son substrat, il pourrait être possible de décrire l'intelligence comme une collection de propriétés attachées à un substrat mais indépendantes de celui-ci. Si une telle définition de l'intelligence était trouvé, qui ne dépende ni des particules élémentaires qui constituent la chose intelligente, ni de ses atomes, molécules, cellules ou amas de cellules, il serait possible d'imaginer implanter ces propriétés dans un substrat différent de celui que nous connaissons, fait d'amas de cellules, de cellules, de molécules etc… En comprenant, en modélisant l'intelligence, on la rendrait transférable.

Mais a-t-on réellement besoin de comprendre l'intelligence pour l'imiter ? Pas vraiment. Il est estimé qu'aux alentours de 2050, si le progrès suit son cours, un ordinateur personnel possèdera assez de puissance pour simuler au niveau cellulaire un cerveau humain entier. Un supercalculateur pourrait le faire dès 2035. A moins de penser que le secret de l'intelligence humaine réside à une échelle inférieure à la taille du neurone, il nous sera alors théoriquement possible de créer une intelligence artificielle sans rien comprendre à notre création, en copiant bêtement la nature.

Mais là n'est pas le but des chercheurs en intelligence artificielle. Leur but est bel et bien de comprendre les mécanismes qui président à l'intelligence, en se reposant sur la supposition tacite que ces mécanismes sont beaucoup moins complexes que l'agencement des quelques 100 milliards de neurones (sans même parler des cellules gliales) qui composent nos cerveaux. Puis de transférer ces mécanismes sur le substrat du calculateur.

Les calculateurs

Les calculateurs sont des machines formidables, capables d'effectuer plusieurs milliards de tâches simples chaque seconde. Certains les appellent "ordinateurs", mais les anglophones les appellent calculateurs pour une raison évidente mais de plus en plus ignorée : ces machines ne savent faire qu'une chose, effectuer des calculs. Ce qui nous amène aux systèmes formels.

Un système formel est un ensemble de deux choses: des axiomes et des règles de dérivation. Les axiomes sont une suite de symboles, et les règles de dérivation servent à transformer une suite de symbole en une autre suite de symboles. Ces transformations sont très simples, ce sont des transformations typographiques comme par exemple le remplacement d'un symbole par un autre, le collage de deux suites de symboles ou l'effacement d'un symbole. Ces transformations sont très simples pour la bonne raison que les systèmes formels ont été conçus pour rendre possible la dérivation de théorèmes d'une façon purement mécanique, bref, ils sont au fondement même de l'informatique.

A partir de l'axiome constitué du contenu initial de sa mémoire, et des règles de dérivation définies par le constructeur du processeur d'un ordinateur, l'ordinateur procède à des opérations typographiques simples qui ont pour effet de modifier le contenu de sa mémoire et donc d'aboutir à un nouveau théorème. Bien sûr, la mémoire d'un ordinateur n'étant pas finie, l'ordinateur ne constitue en fait qu'une approximation d'un vrai système formel, approximation la plupart du temps suffisante.

Mais si cette façon de voir un ordinateur peut vous sembler étrange, c'est que je me suis placé ici à un niveau d'abstraction plus bas que le niveau auquel vous êtres habitués. J'aurais pu choisir un niveau d'abstraction plus haut, vous parler d'assembleur, des instructions de copie, des opérations binaires, des opérations arithmétiques. Ou me placer à un niveau plus haut encore, vous parler de boucles, de sauts, de variables. A un niveau de description supérieur, j'aurais parlé d'objets, de structures, de fonctions, de librairies. Ou j'aurais pu choisir un niveau de description plus bas et considérer un ordinateur comme un tas de particules élémentaires. Tous ces points de vue sont vrais dans le sens où ils possèdent leur utilité et aident à comprendre l'objet étudié dans un certain but.

Chaque niveau de description fait abstraction des niveaux inférieurs, car il en est indépendant. Il ne fait aucun doute que lorsque vous jouez au dernier jeu vidéo à la mode, les images affichées sur l'écran ne sont que le résultat de manipulations typographiques dépourvues de sens, du moins en se plaçant à un certain niveau de lecture. De même, se pourrait-il que l'intelligence, présente au dernier niveau de lecture d'un programme, ne puisse être le fruit que de manipulations typographiques vides de sens ? Après tout, n'est-ce pas déjà le cas de l'intelligence humaine, fruit de l'interaction vide de sens d'amas de neurones, de neurones, d'atomes ou de particules subatomiques, selon le point de vue ? C'est en tout cas ce que croient beaucoup de chercheurs en intelligence artificielle : l'intelligence n'est qu'un processus mécanique, un agencement de matière, un motif transposable d'un substrat à un autre.

L'existence de différents niveaux de lecture au sein de systèmes formels n'est pas une exception propre à l'informatique et à quelques exemples savamment choisi. Au contraire, en 1931 un logicien nommé Kurt Gödel a prouvé que tout système formel suffisamment flexible pour être utilisé comme une métaphore des nombres entiers naturels possédait aux moins un niveau de lecture en plus de celui dans le but duquel le système formel avait été créé.
Car un système formel, dans la vie réelle, est toujours créé avec un but. Ce but est exprimé par l'interprétation canonique des suites de symboles typographiques dérivés, c'est-à-dire par les métaphores que ces suites de symboles évoquent. La suite de symboles "SSS0", par exemple, pourra être interprétée comme le successeur du successeur du successeur du nombre 0, c'est-à-dire trois, mais cette interprétation est à la discrétion de celui qui la fait, tout comme la perception de groupes de particules élémentaires sous forme d'objets. Les particules typographiques évoluent dans leur monde en fonction des règles de dérivation, sans sens ni but.

Mais Gödel a montré qu'il était possible, pour tout système formel suffisamment puissant, de trouver au moins une interprétation tout aussi juste que l'interprétation canonique de ce système. Dans cette interprétation, les suites de symboles typographiques dérivées par le système sont interprétées comme des théorèmes parlant du système lui-même! Autrement dit, Gödel a prouvé que dès qu'un système formel devenait suffisamment puissant pour parler de nombres entiers, il devenait automatiquement assez puissant pour parler de lui-même, et il en a profité au passage pour prouver qu'il existait des vérités qu'un tel système était incapable de prouver, et qu'il n'existait pas de méthode pour faire la différence entre une vérité prouvable et une vérité improuvable. C'est une épée de Damoclès qui est suspendue au dessus de la tête de tout mathématicien qui essaie de prouver un théorème. En plus du risque que le théorème soit faux, il existe toujours le risque que le théorème soit vrai mais formellement improuvable, c'est-à-dire qu'il existe une infinité de coïncidences que le formalisme utilisé ne puisse pas réduire à une règle générale.

De même que les systèmes formels complexes peuvent s'interpréter à plusieurs niveaux, le cerveau humain pourrait-il être compris comme un empilement de couches dont la couche la plus haute, la couche des idées, pourrait seule être interprétée comme intelligente. Ainsi, d'opérations purement mécaniques, de manipulations de symboles chimiques, naîtrait l'intelligence si flexible que nous connaissons.

Car après tout, si l'ordinateur ne sait faire que ce que l'on lui dit de faire, que fera-t-il quand on lui dira d'être intelligent ? Il s'agit pour nous de casser le code, de comprendre d'agencement des idées, les motifs compliqués qui régissent la vie des symboles mentaux, indépendamment des neurones, indépendamment des atomes du cerveau humain. Comprendre, modéliser l'intelligence humaine.

Il existe une thèse, formulée par Alonzo Church puis Alan Turing (thèse de Church-Turing), qui suppose que tout ce qui peut être calculé peut l'être par des moyens mécaniques. Cette thèse ne peut être prouvée, car elle repose sur le terme vague "ce qui peut être calculé", mais elle est aujourd'hui quasi-universellement acceptée. Si l'on accepte que le comportement sur une certaine période de temps finie de toutes les particules élémentaires constituant un cerveau humain peut être calculé avec une précision arbitraire, alors cette thèse revient à dire qu'il est possible de simuler aussi parfaitement que souhaité l'intelligence humaine à l'aide d'un ordinateur, c'est-à-dire que l'intelligence ne dépend pas d'un substrat particulier.

L'ordinateur, loin d'être un simple calculateur, serait donc une machine quasi-universelle, capable de tout simuler, y compris l'intelligence. Mais l'intelligence simulée d'un ordinateur n'en serait pas moins réelle que l'intelligence simulée de nos tas de matière grise et blanche, ou peut-être devrais-je dire, pas plus.

Alors, quand l'intelligence naturelle, imparfaite et bricolée par la nature, donnera-t-elle naissance à l'intelligence artificielle, si la chose est, comme je le crois, possible ? Avec quelles conséquences ?

L'Homme, remis à sa banale place par Galilée, par Darwin et par Freud, découvrira alors qu'il n'est unique en rien. Mais ce qui définit le mieux l'humanité n'est-il pas cet enchevêtrement d'idées, de mots et d'images que nous transmettrons à nos héritiers plantés dans un substrat différent, détachés de la chair ?
Ils seront les enfants de notre intelligence.

25 septembre 2009

Simplicité

J'ai la flemme d'essayer de la retrouver, mais je suis tombé récemment sur une citation dont voici une version approximative : "On ne devrait jamais chercher la solution d'un problème avant d'avoir atteint la certitude que l'on a examiné le problème de manière la plus pointue possible".

A première vue, il semble que cette phrase ne déparerait pas dans le répertoire de quelque manager de province généreux en buzzwords et de maximes prédigérées. Pourtant, cette phrase a résonné dans mon esprit, et m'a semblé recéler une vérité et une pertinence rafraîchissantes. Vous savez, ce sentiment que l'on a quand toutes les pièces d'un puzzle mental semblent soudain former un tout intelligible, quand le motif émerge ?

Le motif a émergé pour moi quelques jours après avoir entendu la phrase, comme une révélation à rebours. Je lisais à ce moment un livre traitant de la conscience et de la nature de ce que l'on appelle le "moi". Alors plongé, et même passablement embourbé dans les considérations complexes de l'auteur, je me suis soudain aperçu que les choses devenaient incroyablement plus simples si l'on se demandait simplement pourquoi l'on appelle quelque chose "une conscience", ou "un soi". Poser le problème clairement consistait en ce cas à dépasser la compréhension intuitive et plus ou moins vague du terme "conscience", et à la remplacer par une compréhension des raisons qui poussent à appeler une chose une conscience, par rapport au but recherché.

Le risque d'épiloguer sur l'usage d'un mot flou aux sens multiples est omniprésent en philosophie (surtout de comptoir), mais je pense que la méthode simple consistant à se faire une idée précise du problème et de son domaine précis d'application possède une utilité bien au-delà de la philosophie et de la métaphysique. C'est, après tout, l'un des fondements implicites de la méthode scientifique.

Ces considérations sont banales, mais j'ai l'impression que malgré moi je tends à les oublier et me laisse souvent piéger par la complexité, et je me surprends à débattre du sens ou de l'usage précis de mots ou concepts valise. Si ce billet ne devait servir qu'à une chose, ce serait de rappeler au moi futur qui lirait ce billet (ou toute autre entité intéressée) de ne pas perdre son temps avec des concepts flous. A chaque étape d'avancement vers une solution, dans quelque domaine que ce soit, il faut faire l'effort de se souvenir du but initial et du but final, du problème posé.

Qui a dit "ignosticism" ?

13 août 2009

Maniaco-dépression

Il est des soirs où l'inspiration vient facilement, où les mots et les idées semblent se déverser et se tisser d'eux-mêmes et sans effort. Ce soir est l'un de ces soirs.

Je laisse mes mains courir sur le clavier, en profitant d'une de ces trop rares expériences pour produire ce billet, d'un jet, d'un trait et sans préméditation. Tous les soirs, pourtant, je ressens une capacité accrue à créer, à exprimer ce que je pense et ce que je ressens, mais rares sont les soirs où cette envie est suffisamment forte et dirigée pour me pousser à prendre la plume et concrétiser ce besoin plutôt que de l'étouffer, le remplacer par une activité de réception passive plus aisée mais moins gratifiante. Mais la création ne se limite pas à l'activité sociale, visible et palpable par autrui. Tous les soirs, mon esprit crée, invente, trouve de nouvelles idées et élabore des stratégies qui jamais, le matin, ne m'auraient effleuré l'esprit. Tous les soirs je suis un mister Hyde hyperactif à mon échelle, et tous les matins je me retransforme en un raisonnable et réservé docteur Jekyll, réévaluant les idées de la veille et les jetant pour la plupart aux oubliettes.

Mais ce changement de personnalité, instantané en apparence pour l'œil de la conscience, se reproduit à l'inverse et de façon lente et graduelle au fil de la journée. Je suis en continuelle et lente métamorphose psychique. Le soir est une période d'exubérance créatrice, de désinhibition, de facilité d'écriture et d'ouverture. A celle-ci s'oppose la phase matinale où les critiques mentales sont en plein éveil et inhibent le processus 'aventureux' de mon esprit. Les phases 'maniaques' et 'dépressives' s'alternent.

Mais ne t'inquiète pas pour moi, cher lecteur, je vais bien, du moins, tout aussi bien que toi. Car nous sommes tous, finalement, des maniaco-dépressifs en miniature. Dans le mens sana comme dans les autres se succèdent des phases créatrices, génératrices d'hypothèses, et des phases de critique qui viennent réduire le champ des hypothèses envisagées. Ces hypothèses peuvent concerner l'attitude à suivre envers votre voisin trop bruyant comme la façon de saisir un objet placé à proximité d'une main, et, si quelques unes de ces phases sont lentes et accessibles à la conscience, la plupart se déroulent sans même que l'on s'en rende compte. Comme un motif fractal répété de la plus petite décision possible jusqu'aux réflexions à tiroir sur le sens de la vie, ces cycles d'élargissement, puis de réduction du champ des possibles rythment le fonctionnement de l'esprit humain. La plupart de ces cycles sont invisibles à la conscience, qui ne s'embarrasse pas de tels détails, et seuls les cycles de plus haut niveau nous sont perceptibles.

La maniaco-dépression, selon cette théorie, ne serait pas une maladie résultant de l'apparition de 'mouvements d'esprit' contraires, mais plutôt de l'exacerbation de mécanismes existants et normalement utiles à l'esprit humain. Chez le maniaco-dépressif, la phase critique est exacerbée au point de ne voir de bon en aucune chose, quand la phase créatrice ne trouve, elle, au contraire, aucune limite. C'est en ce sens que j'ose, très chère lectrice ou très cher lecteur, te qualifier de "maniaco-dépressif en miniature", c'est-à-dire, finalement, d'esprit sain. J'espère que tu ne m'en voudras pas.

Quant à moi, je m'en vais maintenant retourner à mes pénates, et attendre un sommeil qui n'arrivera qu'après une longue effusion de pensées non dirigées, tout comme ce billet.

Bonne nuit.

22 mars 2009

Konnichiwa

Konnichiwa, comme vous le savez je suis parti passer quelques mois au Japon, dans les environs de Tokyo. Cela fait bientôt trois semaines que j’y suis, mais je n’ai commencé à jouer au touriste qu’aujourd’hui.

Je me suis rendu à Yokomaha, la deuxième ville la plus peuplée du pays. Enfin bon, dans les environs de Tokyo, ‘ville’ n’est qu’une étiquette collée sur un morceau de mégapole géante, et durant mes 1h30 de trajet en train je n’ai rien vu d’autre que des bâtiments alentour, à perte de vue.


Yokohama possède la plus haute tour Japonaise, la « landmark tower », qui mesure un peu moins de 300m. Pas vraiment impressionnant vue d’en dessous, en fait. En bas de l’image vous pouvez voir une passerelle piétonne, qui mène jusqu’à la tour. L’urbanisme Japonais utilise la troisième dimension de manière très poussée, pour optimiser les flux de circulation et la place disponible. La différence est vraiment frappante par rapport à Paris ou Pékin, où tout ou presque se passe au niveau du sol. Le résultat est agréable et efficace, l’on traverse rues et voies ferrées sans même être conscient de leur existence, guidé par des panneaux clairs et aidé par des escalators omniprésents.

La landmark tower vue de loin.


Vue de deux niveaux de circulation depuis une passerelle piétonne.


Yokohama est une ville portuaire, mais même la mer semble avoir été urbanisée ici. Pas d’embruns (ce jour là ?).


Une énorme tour de télécoms.


J’ai visité le Musée Mistubishi de la technologie et de l’industrie. Moyennement instructif, et pas très photogénique. Ici un modèle réduit de moteur de fusée japonaise.


Là, je vous laisse deviner ce que c’est.


Après le musée, je me rends à la landmark tower. Elle possède l’ascenceur le plus rapide du monde (ou en tout cas il l’était en 2004), certification du Guiness à l’appui. L’accélération est pourtant très douce dans l’ascenseur, pas de sensation d’organes internes déplacés, pas de jambes qui ploient sous l’effort, c’est sans même s’en apercevoir que nous atteignons les 45km/h de vitesse de déplacement vertical. A cette allure, les étages défilent à une allure ahurissante, et en un clin d’œil nous atteignons le 69ème, à 274m de hauteur.


D’ici nous surplombons largement tous les immeubles alentour, pourtant de hauteur respectable.
Pas vraiment le meilleur jour pour la vue panoramique. Par beau temps, on voit le mont Fuji paraît-il.


En croisant les doigts pour que le big one choisisse un autre jour pour détruire Tokyo.


274 mètres. Bien mais pas top.


Un mystérieux « I love peace » à côté du musée d’art que je n’ai pas eu le temps de visiter.


Oui, cette tour de télécom est obèse.


Les Japonais aiment les escalators.


Et les Pokémons.


Et oui, ceci est un magasin dédié aux Pokémon uniquement.


Parfois, les transports en communs sont bondés. Souvent, non. Je trouve toujours une place assise pour me rendre au labo.


China town de Yokohama, pour changer. C’est un peu comme la Chine, mais en plus exubérant, cher, et propre (après, il paraît que ça ressemble à Shanghai, je ne peux pas confirmer ou infirmer).


China town se résume à un restaurant Chinois à l’échelle d’un quartier. On n’y trouve absolument rien d’autre. Mais c’est joli.





Un temple dédié au Dieu des affaires. A comparer à sa version française, la rue Montgallet.





Une diseuse de bonne aventure lit les lignes de la main. Comme quoi finalement il n’y a pas que des restaurants.


Je voulais photographier le gros bâtiment de style chinois au bout de la rue, mais c’est ici que mon appareil photo et mes talents photographiques jettent l’éponge.

Et pour conclure, une vidéo d’une invention géniale typiquement Japonaise : le distributeur automatique de voiture.



Bon voilà j'ai bloggé, mais on ne m'y reprendra pas de si tôt, du moins pas pour poster des photos, ça prend trop de temps. La prochaine fois, je mettrai les commentaires direct sur mon picasa (dont l'adresse a changé).

Sayonara.

02 mars 2009

Croyance et preuve

Pour meubler un peu en attendant que j'aie fini de mettre en forme mon paper/de déménager au Japon, je vous propose un extrait d'une discussion tenue il y a peu.
Après relecture, je me dis que je m'avance quand même un tantinet sur certains points, mais si ça peut faire réagir ce n'est pas plus mal.

Tout est parti d'une phrase, "on ne peut pas prouver l'inexistence d'une chose". La suite est de moi.




Donc reprenons du début.
Ce qui m'a fait réagir, c'est la phrase "on ne peut pas prouver l'inexistence d'une chose, c'est une impossibilité logique".
J'ai réagi parce que c'était loin d'être la première fois que je lisais cette phrase, que j'avais pris le temps de réfléchir à son sujet, et que j'en avais conclu qu'elle était fausse, pas marginalement fausse, mais totalement. Elle me semble totalement fausse car elle me semble relever d’une mécompréhension de ce que signifie ‘prouver quelque chose’ en science. Avoue que si c’est le cas, le problème ne relève pas vraiment du pinaillage. Surtout quand il te mène à des conclusions qui me semblent également fausses, du genre « la science ne peut se prononcer sur l’existence de fantômes ». Si un raisonnement faux mène à des conclusions fausses, ne mérite-t-il pas qu’on en discute ?

Cette phrase, disais-je donc, est un classique, on la retrouve dans chaque discussion sur Dieu, le paranormal, les pseudosciences, souvent utilisée par « l’autre camp ». Elle arrange bien les ‘croyants’ au sens large comme les ‘agnostiques’, car elle fournit un statu quo, l’incertitude dans lequel chacun voit ce qu’il veut.

Alors oui, bien sûr, j’en ai saisi l’idée. Pour prouver l’inexistence d’une ‘chose’, il faut vérifier que cette chose n’existe nulle part, n’a jamais existé et n’existera jamais. Il suffit, au contraire, pour prouver l’existence d’une chose, d’en exhiber un exemplaire.

Vu comme cela, la preuve de l’inexistence d’une ‘chose’ semble en effet bien impossible.

Mais le problème, ici, me semble résider dans la notion de preuve. Il est trivial, en effet, de dire, que l’inexistence d’une chose ne peut être logiquement établie (logiquement au sens de logique philosophique ou mathématique, pas de sens commun). Mais il est tout aussi trivial de dire que l’existence d’une chose ne peut être logiquement établie. La Vérité est après tout inaccessible, nous sommes tributaires de nos sens, du fonctionnement de notre esprit, etc…
Descartes objecterait que l’existence d’un « soi » peut être logiquement établie, mais un « soi » seul ne signifie rien, seul ses relations à d’autres concepts et objets le définissent, et ces relations sont à jamais hors de portée de la preuve logique.

Non, nous ne parlons ici pas de preuve logique. Nous parlons de preuve scientifique. La preuve scientifique est subjective, faillible, sujette aux erreurs de mesure, de raisonnement, d’évaluation, au manque de données, etc… La preuve scientifique n’est pas un absolu mais un outil fiable, incroyablement fiable même.

C’est de ce genre de preuve là que nous parlons. Nous sommes, après tout, en train de discuter de ce que la science peut dire, et ce pour quoi elle ne propose pas de réponse.

Alors, pour quelle raison la « preuve de l’inexistence de quelque chose » est-elle impossible ? La preuve scientifique de l’existence d’une chose est certainement possible, je pense que tu ne me contrediras pas là-dessus. Pourtant cette ‘preuve’ n’est jamais une certitude, comme les opposants à la science aiment à le rappeler. La preuve scientifique de l’existence d’une chose est une « bonne raison de penser que les choses se passent comme si » cette chose existait. Plus cette raison est bonne, plus elle est confirmée, plus la confiance en l’existence d’une dite chose est solide.

Je me doute bien que tu sais tout ça, mais je ne l’écris pas sans raison. Pour aller plus loin, il va falloir définir un peu de quoi on parle, quand on parle de chose.

Une chose, toute chose, ne se caractérise que par la façon dont elle est liée à d’autres. Une chose est décrite par ses propriétés, et les propriétés, si elles sont suffisamment nombreuses, peuvent déterminer cette chose d’une manière unique.

Prouver l’existence d’une chose, c’est prouver l’existence d’un ensemble de propriétés organisées selon un certain « motif ». Prouver l’inexistence d’une chose, c’est prouver qu’un ensemble de propriétés ne peuvent être organisées suivant un certain autre motif.

Je comprends tout à fait ce que tu veux dire, quand tu dis qu’exhiber un certain nombre d’objets, aussi grand soit-il, ne vérifiant pas lesdites propriétés, ne prouve pas que les propriétés en question ne peuvent être retrouvées. C’est juste, c’est, comme tu le fais remarquer, évident, et je suis bien d’accord avec toi. Mais tout ce que cela montre, c’est qu’il n’est pas possible de prouver l’inexistence d’une chose comme l’on peut en prouver l’existence, en l’exhibant.

Il nous faut de nouveaux outils pour aller plus loin, des outils plus puissants que l’itération, permettant d’exclure l’existence d’un ensemble de propriétés. Heureusement, ces outils existent. Ils existent sous la forme de postulats, ce qui veut dire qu’aucune Vérité, aucune certitude logique ne peut en être dérivée. Mais d’un point de vue scientifique, ces outils se sont révélés fiables, et donc valides en tant qu’outil de preuve scientifique, parce qu’ils sont cohérents avec le monde physique observé.

Ces outils, ce sont les lois physiques universelles. Une loi physique universelle est quelque chose de profond et de mystérieux pour moi. C’est un pont entre le monde perçu et les mathématiques humaines, et son existence impose des contraintes cohérentes avec un certain formalisme à l’univers observé. Une loi physique, à partir d’observations itératives, construit une généralisation de ces observations. Elle fixe des contraintes sur les propriétés que les choses peuvent avoir, mais aussi, de manière duale, sur celles qu’aucune chose ne peut avoir.

La loi physique en dit autant sur l’inexistence éventuelle d’objets que le formalisme qui y est associé, et tu n’ignores pas qu’en maths il est très souvent possible, quoi que pas toujours, de prouver l’inexistence de telle ou telle chose.

Ce à quoi je veux en venir, c’est que cette correspondance entre formalisme et réalité permet à la science de statuer sur l’existence ou l’inexistence d’objets indifféremment , et que la séparation entre « preuve de l’existence » et « preuve de l’inexistence » n’a de ce fait pas lieu d’être.

Alors, pour en revenir à un exemple que tu évoquais, puis-je prouver qu’il n’existe pas d’arbre qui parle ? Je pense que oui. Il existe un grand nombre de raisons pour lesquels un arbre ne peut pas parler.

La parole nécessite le mouvement rapide de parties mobiles. Les végétaux ne disposent pas de parties mobiles à mouvement rapides.
L’usage de la parole implique l’existence de structures nerveuses dont les arbres ne sont pas dotés.
Etc…

Chacune de ces affirmations est une « proposition sur le monde », pas une certitude. Il se pourrait que je me trompe, et qu’il existe des arbres qui parlent. Selon comment on définit la parole, on peut même dire qu’il en existe.

Mais en science, peu importe la certitude. Une connaissance scientifique n’est pas une certitude, mais une proposition jugée fiable de manière subjective. Les propositions utilisées pour ma démonstration sont fiables dans le sens où elles sont en accord avec l’expérience, un accord tellement bon que l’extrapolation semble raisonnable.
La science a son mot à dire au sujet des arbres parlants. Pour un scientifique, les arbres parlants n’existent pas, et ses raisons de le croire sont bien plus fiables que ses raisons de croire que des paires de particules/antiparticules apparaissent spontanément dans le vide.

Il n’y a donc pas pour moi une différence de nature entre preuve de l’existence et preuve de l’inexistence, mais une différence de degré. Le processus d’extrapolation à partir de données parcellaires, puis d’exclusion formelle de l’existence d’une certaine combinaison de propriétés est éminemment moins fiable que le processus de vérification expérimental, c’est un fait, et quand il s’agit de problèmes complexes il est souvent infaisable d’exclure la possibilité d’apparition d’un phénomène. Pas parce que cette exclusion est logiquement impossible, non, mais parce que cette exclusion serait sujette à une telle incertitude qu’elle serait inutilisable.

Le problème n’est donc pas la question, mais la façon d’arriver à la réponse. Note que ce problème n’est en rien exclusif aux propositions portant sur l’ « inexistence d’une chose », mais limite de manière générale notre capacité à apporter des réponses aux propositions portant sur des systèmes complexes.

Heureusement, il est souvent possible d’emprunter d’autres chemins de preuves afin d’arriver à nos fins. La science ne peut peut-être pas attaquer de manière frontale le problème de l’existence des fantômes, trop vaguement définis, mais elle peut biaiser. La psychologie et les sciences cognitives nous apportent des éléments pour juger de la probabilité qu’une interprétation anthropocentrée d’un évènement inhabituel soit générée par l’esprit humain. La physique et la médecine nous apportent des éléments de réponse sur le fonctionnement du corps et de l’esprit humain, et d’exclure la possibilité d’une séparation entre corps et esprit.

Bref, la science est loin d’être sans armes face à ce genre de question, peu importe que celle-ci porte sur l’inexistence d’une chose ou non.

L’impossibilité logique de l’existence de fantômes n’est certes pas prouvable, mais la science, c'est-à-dire l’ensemble des connaissances et techniques cohérentes avec l’observation du réel, a tranché depuis longtemps. Pour autant que la notion de preuve ait un sens, la science a prouvé que les fantômes n’existaient pas, à moins de réviser sérieusement la notion de fantôme.

De même pour Dieu. La science n’est pas agnostique, contrairement à ce que beaucoup voudraient croire. Dieu, tel qu’il est défini par les grandes religions, est une proposition physique sur le monde dont les effets sont vérifiables. Si cette proposition est déconnectée de la réalité, si la croyance en Dieu s’explique sans Dieu, si la genèse des religions est expliquée de façon scientifique, alors la science assigne une probabilité de véracité à la question « Dieu tel que décrit par les grandes religions existe-t-il ? », et cette probabilité est basse.
Seule la version non-réfutable de Dieu, le Déisme selon Spinoza, échappe à la science, par définition.

Bref, pour moi, l’affirmation selon laquelle la science ne peut statuer sur l’inexistence d’une chose est non fondée. Elle n’est pas seulement imprécise, mais relève d’une mauvaise compréhension du concept de preuve ou de la science elle-même, et mène à dire de grosses bêtises.

Oui, la science a son mot à dire sur l’existence des fantômes, sur Dieu, sur les licornes roses invisibles (contrairement à ce que je t’ai répondu un peu vite sur le topic). Pourquoi ? Parce que la science n’est pas un simple catalogue des choses qui ont le bonheur d’exister. La science, c’est un outil permettant d’assigner une probabilité à toute proposition reliée au monde réel d’une façon ou d’une autre. Elle statue donc sur toutes les propriétés, et ne se retire de la partie que quand il n’y a plus de propriétés à vérifier (et donc plus de sens).

La science est extrêmement faillible bien sûr, elle l’a prouvée nombre de fois, mais la science n’est jamais qu’un outil qu’il nous est loisible d’adapter à notre subjectivité.

18 février 2009

Bon vieux temps

Imaginez un bébé mignon, un bébé qui vous regarde avec ses grands yeux humides en gazouillant. Vous l’avez bien en tête, oui ? Bien. Et maintenant imaginez mon poing à mi enfoncé dans son crâne mou, son petit corps sans vie se refroidissant déjà dans son berceau maculé de sang. Je l’ai fait. Je suis un monstre.

Le bébé, c’est mon après-midi productive. Mon poing dans son crâne, c’est le temps perdu à surfer sur le web plutôt que travailler. Ma métaphore horrible, c’est l’introduction absolument dénuée de bon goût de ce billet.

Blague rituelles sur les bébés morts mise à part, quelle, allez-vous me demander, oui quelle portion de cette grande suite de tubes qu’est l’Interouaibe aurait donc réussi à attirer ton attention, Ô respecté auteur de ce blog s’il en est (et il en est, j’ai vérifié deux fois) ? Et la réponse est édifiante. Pendant cette demi-journée, morte dans des souffrances atroces et après moult convulsions et autres gargouillements, j’ai lu mon blog. Mon propre blog.

Et j’ai aimé. Fausse comme vraie modesties mises à part, j’ai vraiment apprécié la lecture de la plupart de mes billets, ce qui à première vue de nez n’était pas gagné. Les gens changent, le goût et l’humour se transforment. Mais je dois dire que, presque cinq ans après mon premier billet, mon blog a dans l’ensemble passé, à mes yeux infaillibles, le test du temps. Je me propose de me féliciter, j’accepte, félicitations, merci moi aussi.

Pour enchaîner sur mon questionnement existentiel d’il y a peu, je pense aujourd’hui pouvoir dire que je sais pourquoi je blogge. Je blogge pour faire passer au futur moi du bon temps à relire ses conneries écrites et oubliées depuis. Personne n’a, après tout, un sens de l’humour aussi proche du mien ou autant d’expériences et d’idées en commun avec moi que le futur moi. Personne n’est à même d’apprécier mes billets autant que lui. Futur moi, si tu me lis, tu es un mec génial, surtout ne change rien, c’est comme ça qu’on t’aime. J’ai dit que tu étais un mec génial ? On ne le dit jamais assez.

J’aimerais aussi remercier mon ancien moi pour avoir pris le temps de laisser traîner des petits morceaux de sa vie, de ses pensées, de ses traits d’humour – excellents, soit dit en toute objectivité – toutes ces petites choses qui m’ont ramené de bons souvenirs en tête, m’ont fait rire comme un con dans mon laboratoire saturé de Chinois, et m’on fait penser « ah oui c’est vrai, je pensais ça à l’époque ». Comme un album photo qui capture les pensées, mon blog m’a fait rentrer dans la peau un peu plus boutonneuse de mon ancien moi, et pour cela, ancien moi, je te remercie, même si j’éprouve un irrépressible sentiment de supériorité envers toi. Je ne te félicite pas trop, cependant, pour le lent mais régulier déclin dans ton rythme de publication, vile feignasse. Etant en tout point meilleur que toi, je vais bien entendu redresser la barre, mais regarde dans quel état tu m’as laissé tout ça. Hein ? Hein ? T’es fier de toi ? Ah pardon, j’ai oublié, tu ne peux pas répondre, tu es mort.

Marvin Minsky, dans son dernier livre, ‘The Emotion Machine’, nous explique en quoi nous sommes un tas de cons de croire à l’illusion de continuité du ‘soi’ construit par l’esprit humain. « Pauvres couillons », écrit Minsky, « en quelques moi seulement quasiment toutes les molécules de votre corps on été changées. Qu’est-ce qui vous fait dire, bande d’attardés de mes deux, que vous restez les même ? Regardez-moi ce ramassis d’abrutis, pas un pour rattraper l’autre, allez vous me faites tous chier, je me casse [bruit de porte claquée très fort]. » Et comme il a raison !

Non seulement l’ancien et le futur moi n’ont matériellement quasiment rien en commun avec le moi actuel, mais même leur esprit, ce que beaucoup appelleraient leur vrai ‘moi’, a lui aussi changé radicalement. Des souvenirs ont été oubliés, d’autres se sont ajoutés. De nouvelles idées ont remplacé les anciennes, de nouvelles compétence ont été apprises et d’autres désapprises. Le moi d’il y a quatre ans est un ami proche. Le moi de mon adolescence est une vague connaissance, celui de mon enfance, un étranger, un peu plus mort chaque jour.

« Mais alors, Chris » - me demanderez-vous – « pourquoi es-tu si généreux avec le toi futur, au point même de passer des heures à écrire des choses pour son divertissement. Ok, c’est un gars génial, mais toi aussi tu es un gars génial, passe donc du temps pour toi ! » C’est vrai que j’en passe, du temps, à pouponner ce moi du futur. Etudes, sport, apprentissages fastidieux en tout genre, économies, plans pour l’avenir, il n’y en a quasiment que pour lui. Et pourquoi ? Hein ? Vous voulez savoir pourquoi ? Et bien vous l’avez dit, c’est parce que moi aussi, je suis un gars génial. Je donne, je donne, sans compter, et le sourire de mon moi futur suffit à me faire oublier ma peine. Je suis un généreux par nature.

Mais si je blogge pour moi, je blogge aussi pour le reste du monde, bien sûr. Toi qui me lis, l’anonyme, le sans grade, sache que qui que tu sois, quel que soit ton nom, et qu’importe le nombre de fonctionnaires dans ta famille, je pense à toi au moment même où tu lis ces lignes, et je t’aime comme plus personne ne t’aimera jamais. Jamais. Toi aussi tu es une fille ou un mec génial, et tu le resteras aussi longtemps que tu liras ce blog. Je te fais de gros bisous et espère que tu aimes lire ce blog comme j’aimerai le lire plus tard, à mes petits-enfants en mimant bien les passages à base de meurtre de nourrissons.

Onctueusement,

Chris

05 février 2009

Déjà-vu récursif

Yo dawgs, je viens d'avoir une impression de déjà-vu récursive: j'avais l'impression d'avoir déjà eu l'impression de déjà-vu que j'étais en train d'avoir.

C'est fou non ?

30 janvier 2009

La croyance

La croyance occupe une place centrale dans le fonctionnement de l'esprit humain. Mais que signifie croire ? Est-il bon ou non de croire ? En fonction de quels critères ?

Voilà comment mon billet sur la croyance aurait commencé. Il aurait été vachement bien, avec des morceaux de sciences cognitives, d'intelligence artificielle et de linguistique dedans, et il aurait été tellement convaincant que Louis serait immédiatement devenu un irréductible athée. Et puis je me suis rendu compte qu'en fait, je n'avais pas, mais alors pas du tout envie de l'écrire et que je préférais aller sur youtube et regarder des vidéos de bulldozers fous blindés détruisant des entrepôts. Dois-je avoir honte de moi ? Ne manquez pas mon billet sur la honte ! Pour vous faire patienter, voici une photo au hasard prise sur le net (au HASARD ? vraiment ?).

28 janvier 2009

Bon goût

J'ai utilisé tout mon noir dans Paint à faire cette BD. Attention, c'est très très noir. (cliquez pour agrandir)Désolé.

25 janvier 2009

Futilité

Je me souviens de l’impression que j’avais ressentie après avoir passé mon bac, il y a quelques années de cela. J’avais l’impression de comprendre le monde, d’avoir enfin percé ses derniers mystères en maîtrisant l’intégration et les nombres complexes, les lois de Newton, Ohm, Ampère et tous ces cadavres célèbres. J’avais aussi appris, seul, à dompter l’outil informatique et je défragmentais des disques durs en créant des casses-briques en Visual Basic, j’éditais la base de registre et j’ouvrais des fichiers de 50mo avec le bloc notes. Rien ne m’arrêtait.

Il restait certes quelques menus détails à régler, et malgré mon étude détaillée des schémas de Science et Vie, je n’avais pas saisi toutes les subtilités du modèle standard ou de la théorie des cordes. Je maîtrisais la dialectique et j’avais étudié le cogito, certes, mais je m’avouais humblement qu’il existait peut-être quelques questions philosophiques auxquelles je n’avais pas encore de réponse. Rien de très important, sûrement.

Je ne dirais pas que mes certitudes se sont écroulées par la suite. Je les ai, pour la plupart, raffinées. J’ai ajouté des exceptions là où je ne voyais auparavant qu’une loi générale, j’en ai dérivée de lois d’inférence plus précises, je me suis accordé à des théories de plus en plus complexes. Et surtout, j’ai drastiquement réévalué la capacité de mes processus mentaux à modéliser correctement le monde. Ce qui signifie que j’ai ajusté le modèle que j’avais de moi-même.

Là où certains verraient de l’humilité, je vois du réalisme. Le modèle que j’avais de moi-même, c'est-à-dire l’outil que j’utilisais pour évaluer ma capacité à interagir avec le monde, s’est révélé incorrect, et je l’ai ajusté. Je n’ai pas appris à être humble, mais à faire correspondre à la réalité une simplification nouvelle et plus juste représentant mon propre fonctionnement. L’humilité est sociale et reflète l’image, non pas que l’on a de nous, mais que l’on souhaite paraître avoir de nous aux yeux des autres.

Où je veux en venir avec tout ça ? Et bien, je pense que tout ceci est lié à la rareté de mes billets. Je ne peux m’empêcher de me demander, avant chaque billet, quel intérêt il aura. Se pourrait-il que j’expose une idée nouvelle ? Se pourrait-il que je ne dise pas n’importe quoi, malgré mon ignorance extrême ? A quoi bon me lire, quand on peut lire des gens plus intelligents que moi ayant consacré leur vie à développer et valider des idées certainement plus novatrices et plus justes que les miennes ? Ou des auteurs autrement plus doués et ayant consacrées des dizaines d’années à développer des univers imaginaires beaucoup plus cohérents et riches que celui de mes petites histoires ? Voilà le genre de question contre lesquelles je dois me battre avant de poster chaque billet.

Se pourrait-il que Laurent ait raison, et que finalement une grosse connerie ne vaille pas moins qu’un autre billet d’être posté ? Un blog, c’est aussi un moyen de garder contact, de discuter sans prétendre à l’expertise. C’est même, pour la plupart des blogs, la seule raison valable d’exister. Alors, le blog comme extension virtuelle au salon où l’on se pose pour discuter sans prétention entre amis ? Est-ce un prétexte suffisant à son existence ?